Ainsi titre Libération pour un article assez technique de Jacques Testart, le père scientifique du premier bébé éprouvette français né en 1982, qui remet nettement en cause la recherche sur l'embryon :
"Le premier projet relève d’un élargissement du DPI (diagnostic
préimplantatoire) afin de qualifier aussi bien le potentiel de
viabilité (cet embryon est le plus susceptible de se développer après
transfert in utero) que des caractéristiques propres (le génome
de cet embryon laisse espérer le meilleur profil de «normalité» pour
l’enfant à naître). Une telle investigation sur une ou deux cellules
soustraites à chaque embryon permettrait, selon les demandeurs de la
«recherche», d’augmenter simultanément le succès du transfert in utero
et la qualité des bébés nés de Fivete. Pourtant, on estime que la
moitié des embryons humains possèdent un nombre anormal de chromosomes
(situation exceptionnelle parmi les mammifères et souvent létale), on
sait aussi que la plupart de ces anomalies sont portées par les gamètes
si bien que toute volonté réellement scientifique de générer des
embryons normaux (pour leur nombre de chromosomes) exigerait des
recherches sérieuses en amont, sur la fabrication des ovules et
spermatozoïdes et leur rencontre dans la fécondation (...)
J’ai assez alerté depuis 1986 sur les risques éthiques et
anthropologiques attachés à cette perspective eugénique appropriable en
démocratie pour ne pas développer ici en quoi l’horoscope génétique me
semble constituer le défi éthique le plus important parmi tous ceux
introduits par la Fivete. Le législateur ne devrait-il pas prendre en
compte la systématisation ainsi annoncée du DPI pour évaluer les
demandes de «recherche sur l’embryon» ? (...)
Le second projet d’utilisation de l’embryon est celui qui agite le plus
les milieux concernés autant que les débats de bioéthique. On peut
s’étonner de la volonté de s’emparer de l’embryon humain afin de
développer une stratégie thérapeutique qui n’a pas encore fait ses
preuves chez l’animal, comme si l’humain pouvait être un matériau
expérimental banal (...)
Les demandeurs prétendent qu’il serait nécessaire de développer tous
ces programmes simultanément, comme si une étrange urgence dans la
compétition avec des laboratoires étrangers permettait de nier le poids
éthique particulier à chaque programme. Comment ces chercheurs
empressés justifieront-ils leur entorse à l’exigence éthique d’un
modèle animal pour la recherche médicale, telle qu’établie il y a
quarante-cinq ans à Helsinki, et aussi d’avoir inutilement «taquiné le
catho», s’il se confirmait finalement que la thérapie cellulaire n’a
nul besoin de l’embryon ?
A l’évidence, des motivations non exprimées se substituent ou
s’ajoutent aux arguments à prétention scientifique des conquistadores
de l’embryon humain. Peut-être est-ce le mythe de la fontaine de
jouvence qui leur fait privilégier le plus jeune des matériaux
biologiques ? Ou est-ce parce qu’ils ne supportent pas que l’embryon se
trouve encore légalement préservé de «la recherche», laquelle peut
cependant concerner tous les autres stades de l’humain, du fœtus
jusqu’au cadavre ? La pulsion d’accaparement du plus petit de notre
espèce pourrait ainsi relever d’une exigence de consommation cannibale…"
Lahire