L'autre jour, Mostek m'a annoncé, de l'air désespéré de l'ours polaire face à la fonte des glaces, que le lendemain, elle devrait vivre une épreuve monstrueusement monstrueuse : voyager en Mercedes avec chauffeur, savoir en bus.
Evénement du siècle. Drame incommensurable. Morceau de vie inenvisageable.
Prendre le bus !
Moi, morte de rire, j'étais ravie de la voir se liquéfier de désespoir et d'angoisse, au point de décider de prendre le bus avec moi, soit bien plus tôt que son heure habituelle de départ en voiture, passque la miss n'osait pas voyager seule.
Jouissance extrême (oui, chuis sadique parfois - souvent).
Le jour venu, je l'avais tellement exhortée à être d'une ponctualité exemplaire (« je te préviens, le bus n'attend pas et moi non plus je t'attendrai pas, sois à l'heure sinon je pars sans toi, tu te débrouilleras ») qu'elle squattait le hall de mon immeuble alors que j'étais encore à la salle de bains, à peine sortie de ma douche. Elle avait si peur de déranger qu'elle n'osait même pas sonner, c'est dire.
En sortant, je la découvre donc, telle une cosette ou une petite marchande d'allumettes, m'attendant sagement.
Commence alors notre périple jusqu'à l'arrêt du bus.
Moi, je connais mon itinéraire par cœur : j'avance jusque là, je traverse là et pas là, je change de trottoir à cet endroit précis, j'évite un feu en passant par là... Elle me suit docilement, chaussée de chaussures de marche et non de hauts talons. La miss s'est préparée pour un marathon, je vous le dis.
Je l'ai briefée, à sa demande, sur le fonctionnement du bus : prix du ticket, pas de grosses coupures, correspondance gratuite, dis bien bonjour, assieds-toi pour pas tomber (non, là, j'invente, faut bien rire un peu). Elle m'interroge « je dois dire 'un ticket Monsieur' ou 'une place Monsieur' ? » Je lui réponds « une place Monsieur ». Le bus arrive. Elle monte et demande « un ticket Monsieur ». Tchu, elle retient pas ses leçons, la Mostek.
Une fois dans le bus, j'abandonne pour un jour ma place habituelle de célibataire, pour l'entraîner vers les places pour duo. Je la fais asseoir. Ben oui quoi, certains chauffeurs sont tellement violents de nos jours, je voudrais pas qu'elle se casse une patte moi.
Arrivées à la gare, nous décidons de nous organiser un petit déj pour le bureau. Sus aux pains au chocolat. Dans la boulangerie, on dirait que Mostek découvre les gourmandises et la vie. J'ai déjà commandé et payé mon giga pain au chocolat qu'elle en est encore à admirer toutes ces bonnes choses, à s'extasier sur les en-cas salés, à baver devant les boissons... Un petit rappel à l'ordre s'impose : la correspondance n'attend pas.
Second bus. Même topo, siège pour deux. En entrant, Mostek demande confirmation au chauffeur de la gratuité de sa correspondance. Purée, je sers à quoi moi ? Elles servent à quoi mes explications ? Grisée par cette expérience digne d'un voyage dans la quatrième dimension, elle décide d'entamer son pain au chocolat. Tandis qu'elle le dévore, je lui désigne d'un mouvement de nez (oui, je sais bouger mon nez, enfin presque) l'affichette qui indique « je ne mange pas et je ne bois pas dans le bus »). Sagement, elle range son petit déj.
L'expérience touche déjà à sa fin. Nous arrivons à proximité du bureau et parcourons les quelques dizaines de mètres qui nous en séparent. Le passage pour piétons avec véhicules fous pas foutus de s'arrêter ressemble au Tornado de Walibi.
Mostek est contente : elle a pris le bus. Sans doute pour la dernière fois de sa vie, c'est clair et net.
Mais elle a aimé. Et moi aussi. Ce petit changement de mes habitudes matinales était comme un vent de fraîcheur.
A qui le tour ? Qui vent tenter cette expérience folle en ma compagnie ?