Une conversation récente avec une camarade m’a amenée à m’interroger sur la notion de féminisme. Je me souviens de m’être, ici-même, mise en colère contre le traitement réservé par les hebdomadaires à Simone de Beauvoir il y a déjà quelque temps, mais je me souviens aussi que ce qui avait suscité mon agacement était d’abord la manière dont on la considérait, par le petit bout de la lorgnette si j’ose dire. Ce n’était finalement pas un accès de féminisme que de s’élever contre une telle attitude. Bien sûr, la question reste posée : si Beauvoir n’avait été une femme (et une féministe !), aurait-on choisi de la représenter ainsi ? Bien malin qui pourra répondre de manière tranchée.
Tout ceci, en tous cas, pour aborder le vrai sujet de ce billet, qui est donc le féminisme.Je me considère depuis longtemps, depuis que je réfléchis à la question des rapports humains dans le champ forcément étroit de ma propre expérience, comme une féministe, et je n’ai jamais eu besoin de définir le terme pour l’adopter. Or il y a peu, mon père m’a fait la remarque que je n’étais justement pas féministe. J’ai d’abord protesté, et puis, aussi étrange que cela puisse paraître, je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un compliment, un compliment « à rebours ».
Une chose est sûre : je ne suis pas Antoinette Fouque. Ni Caroline Fourest. Je n’aime pas les embrigadements ni les déclarations de principe, et si je dois être parfaitement honnête, je n’ai jamais pensé que les femmes étaient meilleures que les hommes. Ce serait beaucoup plus simple de pouvoir le croire, en fait, un peu comme ce qu’on a entendu récemment en Islande, dont la population durement secouée semble trouver un espoir dans la perspective de (pardon pour l’expression qui me paraît tellement correspondre à la situation) laisser les femmes « faire le ménage ». Je suppose que dans mon esprit, ces fameuses qualités dites féminines sont d’abord un trait culturel, et n’ont aucun rapport avec un fait de nature ; mais dans ce domaine, je suis l’héritière aussi de l’histoire familiale, et plus exactement de la mémoire maternelle. Je reproduis donc, consciemment ou non, les schémas de pensée que l’on m’a enseignés. J’aime me dire féministe, j’aime songer que si je le suis, c’est par enseignement autant que par ressenti.
Pourtant, cette mémoire-là devrait être un partage plus que la transmission d’une expérience personnelle. On n’apprend pas l’histoire des femmes à l’école. Cette manière de réserver la transmission de notre 20ème siècle secoué par la libération des femmes aux personnes qui l’ont vécu, me scandalise. Nous n’en sommes pas à imaginer un échange d’anecdotes au coin de la cheminée ou pire encore, dans la cuisine, mais dans les faits, c’est bel et bien ainsi que les choses se font, non ? Je suppose que si ma conception du féminisme reste aussi flou, c’est en partie parce qu’elle doit presque tout à ce que j’ai entendu dans ma propre famille. Je suppose aussi que pour beaucoup, le féminisme reste soit le produit de femelles hystériques niant la différence des sexes, soit un combat d’arrière-garde à une époque où les femmes travaillent, et ont accès à la pilule comme à l’avortement, ces deux grands débats qui on structuré le combat féministe dans les années 60. Je n’ai pas envie d’aboyer avec les Chiennes de garde, je n’ai pas envie de prendre position sur la féminisation de la langue française, je n’ai même pas envie de m’interroger sur ce que cela signifie, d’être une femme. Et pourtant, je passe ma vie entière à me poser la question. Parce que j’en suis une, de femme ? Parce que la société me le rappelle sans cesse ? Ou parce que je suis, osons le mot, révulsée à l’idée de la limitation qu’on accole si facilement au genre, quel que soit ce genre ? Oui, en réalité, je crois que ce que je ne supporte pas, c’est de penser qu’être une femme, ou un homme, m’imposerait automatiquement certaines contraintes morales qui définiraient pour jamais ma nature profonde. Rien d’étonnant, alors, que je me sente plus proche d’une Marguerite Yourcenar ou d’une Elisabeth Badinter que du mouvement féministe en tant que tel. Rien d’étonnant non plus à ce que je sois si attentive non pas au sexe ni au genre, mais à l’expérience personnelle. Car je reste persuadée que ce qui nous définit n’est pas une vérité biologique, mais la manière dont nous la vivons. Suis-je féministe ? Au fond, je n’en suis pas sûre. Je ne revendique même pas le droit à l’indifférenciation, et le militantisme n’a jamais été ma tasse de thé. Je serais pourtant toujours préoccupée par la question des femmes dans la société où je vis, et je continuerais sans doute de me demander si cela caractérise ma propre limitation, ma propre soumission aux lois biologiques. Si ce n’était pas le cas, cela voudrait dire que nous, les femmes, sommes vraiment des êtres d’exception. Et qui pourrait croire une énormité pareille ?