Charles Baudelaire, « Les fenêtres », Le spleen de Paris
Voilà comment je me console de ces mains qui ne se sont pas décrites, qui ne se sont laissées photographier que fermées. Il ne voulait rien en dire, n'y avait jamais pensé et n'avait pas envie d'essayer au moment où je lui proposais. J'ai été maladroite certainement. Sa peau mate, son beau type asiatique, et quelque chose dans son regard qui avait l'opacité de celui qui n'est pas en connivence avec le milieu dans lequel il évolue : j'ai pensé un moment qu'il était seulement de passage à Paris, j'ai redouté qu'il ne parle pas français, et que mes questions tournent court. Je lui ai posé la question comme ça. Parlez vous français? C'était maladroit et je regrette si je l'ai blessé. Mais il n'a pas dit non pour la photo, ou peut-être n'ai-je pas voulu l'entendre, ce non, derrière les protestations qu'il n'avait rien à dire de ses mains.
Toujours est-il, je n'ai pu que les regarder, ces mains, en compensation de la parole que nous aurions pu échanger. Et j'ai repensé à ce que m'avait dit la veille mon amie au rubis, que regard ne venait pas des yeux, mais de plus loin, de plus fort :
« Regarder » en français n’a été associé à la vision que dans un second temps, il signifiait d’abord « être attentif ». D’après son étymologie il provient du francisque « guarder », avoir égard à, en parlant d’une personne (wardôn, être sur ses gardes, ce qui a donné en allemand warten, attendre, en anglais, to ward, protéger).