- Je peux vous parler?
C’était Cecilia, une de mes étudiantes les plus appliquées cette session. Elle se tenait droite dans le cadre de porte de mon bureau. Dans sa main, quelques feuilles roulées qu’elle tenait trop fermement.
- Moui. Ça va, Cecilia?
- Pas vraiment. Je voulais vous parler de ma composition.
Elle m’a tendu le rouleau de papier tout chiffonné.
- Je voudrais que vous le recorrigiez.
Dans un concours d’impolitesse, Cecilia savait prendre les devants rapidement. Devant sa mauvaise humeur manifeste, j’ai choisi de passer outre.
- On peut regarder la correction ensemble, si tu le veux.
J’ai rapidement regardé la note : 85% avant les fautes.
- C’est pas mal, 85%, non?
- C’est parce que je n’ai PAS eu 85% mais 55%! 55% monsieur! C’est ri-di-cule. Mon travail vaut plus que ça!
- En effet, dis-je. Il vaut 85%. Mais tu as fait… laisse-moi regarder… 93 fautes! Compte-toi chanceuse qu’il n’y ait que 30% de la note alloués aux fautes! Selon moi, 93 fautes, ce devrait être un zéro automatique.
J’avais déjà eu ce débat avec des collègues. À mon arrivée au cégep, j’enlevais un pour cent par faute, sans limite. 100 fautes = 0% avant même d’évaluer le reste. Disons qu’après la surprise initiale, les étudiants se forçaient un peu pour ouvrir leur dictionnaire. D’ailleurs, à l’époque, une évaluation de moi sur Internet me traitait de «bitch» à la correction. J’en étais pas peu fier! Mais les collègues m’ont fait comprendre (lire : m’ont obligé à comprendre) qu’un maximum de 30% pour les fautes était la règle. Je suis encore convaincu que c’est un maximum ridicule et qu’un étudiant qui fait 120 fautes ne mérite pas la même note que celui qui en fait 30, et surtout ne mérite pas de passer un cours de français de niveau collégial (pas secondaire : collégial!). Mais non, on fait passer à 70% des étudiants qui ne savent pas chercher un mot dans le dictionnaire, qui accorde des adjectifs au pluriel en y ajoutant -ent…
- Oui, mais ma compo fait près de 900 mots. 93 fautes sur plus de 900 mots, ça signifie plus ou moins 90% de mots bien écrits, non?
Là, j’avoue que sa logique m’a scié.
- Ne joue pas à l’idiote. Tu sais bien que ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.
- En plus, il y a plein d’endroits où vous écrivez que ça ne se dit pas, que la phrase est anagrammaticale…
- agrammaticale.
- C’est ça je disais. Pourtant, j’ai montré les phrases à des amis, et ils les comprennent.
- C’est pour ça que j’ai écrit agrammaticale et non incompréhensible.
- Mais si vous comprenez, il est où le problème?
J’ai regardé derrière elle. Aucune caméra, aucun moustachu pour crier «Surprise sur prise!» J’ai soupiré.
- Pour ce que je vois, on a un problème d’intercompréhension et qu’il n’y a pas de problème avec la correction de ce travail.
- Oui il y en a un : c’est pour cela que vous allez le recorriger! Je ne suis pas au cégep pour avoir des notes de 55%.
Euh…
- En effet, tu es au cégep pour… (j’ai faussement hésité) …apprendre!?
- Et pour avoir ma bourse d’excellence!
Voilà, on y était. La bourse d’excellence comme objectif pédagogique. L’apprentissage devenait secondaire.
- J’avoue que ta note ne t’aidera pas dans l’atteinte de tes objectifs pédagogiques, ajoutai-je, un rien railleur.
- C’est pour cela que vous allez recorriger mon travail. J’ai travaillé plus que n’importe qui pour ce travail, ce n’est pas juste que j’aie 55%.
- Tu sais, Cecilia, un travail scolaire, c’est comme une compétition d’athlétisme : ce n’est pas nécessairement celui qui s’est le plus entrainé qui finit premier.
Mon étudiante semblait me trouver vraiment étrange avec mes analogies à la con. Elle a choisi de l’ignorer et de continuer sur un ton faussement compatissant.
- Mais en même temps, je ne suis pas bête. Je sais qu’avec tous les étudiants que vous avez, vous n’avez pas le temps de bien corriger tous les travaux que vous recevez.
Houla… Volà qu’elle m’accusait de bâcler mon travail, de tourner les coins ronds.
- Tu sais, Cecilia, si tu veux une nouvelle correction, il y a une façon de le demander. Je te laisse deviner comment mais je te donne un indice : ce n’est pas comme tu l’as fait ce matin. Ensuite, si tu crois qu’une révision de notes s’impose, tu peux en faire la requête, la marche à suivre est indiquée dans ton agenda. Jusqu’ici, tout ce que j’ai entendu, c’est une fille frustrée de recevoir une mauvaise note qui, malheureusement, reflète la qualité de son travail. Ma seule recommandation est de te reprendre au travail final.
Elle semblait à peine décontenancée.
- Mais… Je n’ai jamais, JAMAIS eu de notes aussi basses en français au secondaire.
- Donc ce n’est pas ma correction le problème, mais bien celle de tes profs au secondaire.
- Il faut dire que c’était facile au secondaire, le groupe était super faible.
- Je te laisse en tirer tes propres conclusions.
Elle m’a regardé d’un air un peu dubitatif, toujours avec des éclairs de colère dans les yeux.
- Je crois qu’on a fait le tour de la question, ai-je ajouté pour conclure la discussion.
- Non, vous allez quand même recorriger mon travail.
- Quand tu me le demanderas, je verrai si je le ferai.
Sa mâchoire est littéralement tombée au sol.
- Mais je vous le demande depuis 20 minutes!
- Écoute Cécilia : je te laisse là-dessus. Tu réécouteras cette conversation dans ta tête chez toi. Puis la semaine prochaine, si tu veux encore une recorrection de ton travail, tu me la demanderas. Sur ce, il faut que tu partes, j’ai du travail. Des corrections que je n’ai pas le temps de bien faire, justement.
Le cours suivant, Cecilia ne m’a pas adressé la parole. Elle était assise juste devant moi et a passé les 3 heures du cours à me fusiller du regard. J’étais un canard au stand de tir. Sorry, nice try but no toutou.
Aux dernières nouvelles, Cecilia se préparait comme jamais pour son travail final. Je lui souhaite de tout cœur un 90%. Et si jamais elle l’obtient, je suis sûr qu’elle se dira que j’étais un mauvais prof.
Le pire, Cecilia. Le pire.