Magazine Journal intime

Les réunions familiales

Publié le 02 mai 2009 par Alainlecomte

still-walking-affiche.1241245364.jpg« Still walking », de Hirokazu Kore-Eda, est très différent de « Tokyo Sonata », même si ce sont deux films japonais souvent associés dans les programmations de salles « d’art et d’essai ». Le second était violent et plongé dans une lumière souvent agressive, voire angoissante, alors que le premier baigne dans des tons reposés. Bleu du ciel, verdure, lumières intérieures tamisées, arbres fleuris et papillons blancs (ou jaunes).

Et puis, si le second nous confrontait à une réalité japonaise parfois dure à appréhender (des habitudes de vie, de silence surtout, qui nous paraissent lourdes, à nous occidentaux), le premier n’est porteur que d’une vérité quasi universelle : celle des liens familiaux faits d’amour et de haine.

On aura lu déjà le synopsis : une famille se réunit chaque année pour commémorer la mort du fils aîné Junpei, survenue alors qu’il sauvait un enfant de la noyade. L’enfant est devenu adulte : obèse, suant, « vivant de petits boulots » comme dit le père, il est par son existence même une blessure lancinante dans le cœur des parents. Alors, pourquoi l’inviter chaque année ? C’est, dit la mère, « parce que si l’on n’a pas quelqu’un à haïr, alors c’est encore plus pénible »….

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You, Kiki Kirin et Abe Hiroshi

Qu’est-ce qui fait être une famille ? Une somme de petits secrets, de petites rancœurs, de petits non-dits qui s’accumulent pour un jour affleurer au dit sous la forme de piques acerbes. Les fêtes de famille sont en général l’occasion de ces happenings feutrés. Où l’on apprendra incidemment que la mère en veut toujours au père, médecin, de ne pas avoir été là le jour de la noyade du fils. Que la mère a surpris un jour son mari en charmante compagnie mais n’a rien dit. Les plus belles louanges vont aux disparus, tandis que ceux qui restent ne leur arriveront jamais à la cheville. Heureusement, les petites attentions équilibrent les petites vacheries. La belle fille qui boudait un temps parce qu’elle soupçonnait sa belle-mère d’avoir « oublié » son petit garçon dans la distribution des cadeaux reçoit elle-même de cette même belle-mère un superbe kimono… qui ainsi n’ira pas à la fille car… celle-ci aurait été capable ensuite de le revendre sur « lanternet » !

Emouvante danse finale de la mère cherchant à attraper un papillon qui s’est infiltré dans la maison, ce papillon qui ne peut être que l’âme du fils disparu.

Kore-Eda, dans une interview, dit que le personnage central du fils (Ryota) n’est pas « quelqu’un de bien », qu’il est égoïste et qu’il ne pense qu’à lui-même. Certes, il est préoccupé par sa situation de chômeur, mais, sensible et lucide au contraire, il apporte selon moi la part de bonté la plus grande (« quand donc cessera-t-on de toujours vouloir comparer une vie à une autre vie ? » se demande-t-il à l’écoute de ce dialogue pénible où l’on met en balance le fils perdu et ce qu’est devenu l’enfant sauvé). Mais visiblement, ce personnage est Kore-Heda lui-même… alors humilité toute japonaise, sans doute !

Note:

le-melies120160.1241250968.jpgDans une ville de moyenne importance comme Grenoble (qui fut autrefois un modèle culturel), on ne pourrait pas voir aujourd’hui des films comme « Tokyo sonata » ou « Still walking » (et bien d’autres encore) s’il n’y avait, pour les offrir au public, l’un de ces cinémas subventionnés (« Le Mélies ») qui enragent tellement les « libéraux ». Or, ce cinéma est le parent pauvre de l’offre cinématographique grenobloise : modeste rez-de-chaussée d’une rue un peu grise avec des vitres donnant sur le trottoir où sont affichées des coupures de journaux, une seule salle, pour à peine une centaine de spectateurs, et l’obligation, en conséquence, de caser les films programmés dans des horaires souvent irréguliers afin d’optimiser l’offre.

Il y a plus d’un an, il fut question d’installer ce cinéma dans des locaux plus grands et mieux à même de satisfaire ses ambitions de diffusion de la culture. Soutien de la mairie, certes. Mais refus du CNC et tollé des salles privées. Je lis sur des blogs « libéraux » que les subventions accordées à ce genre de salle sont scandaleuses car elles détruisent les conditions de la libre concurrence. En général, les teneurs de ce genre de discours défendent en même temps l’idée que la culture ne doit pas être «aidée » comme ils disent, car les lois du marché sont là pour faire le tri… Ils disent aussi que des salles comme « Le Mélies » ont une programmation… pauvre ( !) et que, lorsqu’ils y sont allés, ils s’y sont ennuyés ( !). Bref, ils ne feraient guère la différence entre « Still walking » et « La boum », ou plutôt si : ils préfèreraient le second. Signe à mes yeux d’un grand handicap de la sensibilité et de l’émotion (ou, à tout le moins, d’un grand désintérêt pour les paramètres de l’émotion). Que dirait-on si les handicapés physiques ou les insensibles aux “beautés du sport” protestaient contre les subventions accordées à la construction des stades ?

Ci-après la note de présentation du cinéma « Le Mélies » par lui-même :

Le Méliès est bien plus qu’un cinéma. Sa salle d’art et d’essai est classée “Recherche” (la seule en Isère) pour son travail de découverte, d’animation et de formation des publics. Géré par l’association d’Education Populaire, le Méliès fait avant tout un gros travail éducatif. Il est responsable de plusieurs dispositifs nationaux (Ecole au cinéma, collégiens et lycéens au cinéma) et a pour objectifs principaux le développement de la laïcité et de la citoyenneté par le cinéma. C’est également au Méliès qu’ont lieu chaque année au mois de février les rencontres cinématographiques jeune public (de la maternelle au collège) lors desquelles les enfants assistent à différentes projections, participent à des débats et des ateliers, récompensent les meilleurs films (jury d’enfants). Le Méliès coordonne également l’opération “un été au ciné”, dispositif national de projections de films en plein air dans les quartiers. Ajoutez à cela un travail intensif avec les associations de Grenoble et du département et vous aurez compris pourquoi le Méliès n’a rien à voir avec un cinéma “classique”.


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