De profondes mutations traversent nos sociétés, dont les manifestations sont de plus en plus évidentes chaque jour. J'ai souhaité aborder sur BrandWatch, non pas des tendances, mais des "dangers". Ces "dangers" doivent être perçus comme le revers de la médaille des tendances lourdes que j'analyse ici: nous devons savoir qu'ils existent, que nous les générons et qu'ils font déjà partie du monde que nous léguons à nos enfants. Je vous propose donc, au travers de notes à venir dans les prochaines semaines, d'en détailler 3:
- Le Nouvel Hygiénisme
- La fascination pour la technologie
- La restriction des espaces de liberté
Voici la première de ces notes consacrée au Nouvel Hygiénisme.
Rappelez vous cette époque où Heineken pouvait nous faire vibrer au cinéma en réunissant un groupe d'amis dont, nécessairement, nous voulions faire partie: quel plaisir ressortait de leurs échanges, quelle atmosphère amicale extraordinaire!
La Loi Evin étant passée par là, Heineken aujourd'hui communique de façon "responsable".
Continuons notre périple. Nous croyions tous aux vertus du régime méditerranéen: détrompons nous, boire UN verre de vin par jour augmente les risques de cancer (Etude INCa "Nutrition et prévention des cancers", 17 février 2009). "L'alcool, du fait de l'éthanol qu'il contient, est cancérigène, c'est largement prouvé. L'argument de certains est « l'alcool est mauvais, mais le vin est bon ». La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y a de l'éthanol dans le vin ! De manière caricaturale, les « scientistes » débattent sur des choses totalement à la marge, le vin rouge, le bordeaux, etc. C'est certain que nous n'avons pas testé chaque terroir et chaque couleur ! Il faut modérer sa consommation d'éthanol, c'est une mesure sage pour limiter le risque de cancer. On ne peut pas définir un seuil minimum en deçà duquel on pourrait dire qu'il n'y a pas de risque pour les cancers." (le Monde 10 avril 2009).
Rappelons nous cette étonnante publicité gouvernementale (2004) de lutte contre le tabac: "Faisons de notre corps un espace non-fumeur". A l' injonction ("vous êtes responsable de votre santé") s'ajoute une image puissante: ce corps est visitable (par qui?), sur le modèle du compteur électrique, de la trappe de visite d'un mécanisme. Ce message nous dit que nous sommes à tout instant "visitables", afin de vérifier si nous suivons les injonctions de santé.Les injonctions nutritionnelles elles aussi abondent: "Manger, bouger" /"Manger 5 fruits et légumes par jour". Au nom de la lutte contre l'obésité ("Si cette tendance se confirme (en Grande Bretagne), en 2050, la moitié des femmes seront obèses, tout comme 60% des hommes" nous prévient Le Monde du 7 avril 2009) de nouveaux comportements se mettent en place: nous en avons suivi certains au Japon et aux USA, où des incitations fortes à s'inscrire dans une "norme de santé" sont mises en place.
Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie, décrypte la médicalisation des comportements dans Le Monde du 5 mai 2008 : "Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual), sorte de catalogue et de recensement des troubles du comportement créé par la psychiatrie américaine. En multipliant les catégories psychiatriques (entre le DSM I et le DSM IV, soit entre les années 1950 et les années 1990, on est passé de 100 à 400 troubles du comportement), il a multiplié d'autant les possibilités de porter ces diagnostics. Aujourd'hui, on est tombé dans l'empire des « dys » : dysthymique, dysphorique, dysérectile, dysorthographique, dyslexique... Chaque individu est potentiellement porteur d'un trouble ou d'une dysfonction. Ce qui étend à l'infini le champ de la médicalisation de l'existence et la possibilité de surveillance sanitaire des comportements."
Cette liste s'allonge régulièrement. Des projets règlementaires européens y participent (les fromages au lait cru, l'affichage des vertus nutritionnelles sur le pain en boulangerie, les espaces de jeux pour les enfants...). Notre société s'installe dans un Nouvel Hygiénisme - au nom de la défense de notre santé, au nom de cette nouvelle norme sociale: le Devoir de Santé. Paradoxalement nous sommes de notre côté demandeurs: pour faire face à la contrainte de l'allongement de la vie et à celle de la norme sociale, nous exigeons de pouvoir mieux contrôler notre santé - qui reste notre premier capital. Nous sommes donc les premiers à exiger le risque zéro: dans les cosmétiques, dans la nourriture, dans les loisirs, dans la vie quotidienne de nos enfants, dans la rue.. partout nous souhaitons le risque zéro. C'est pourquoi le Nouvel Hygiénisme est aujourd'hui une réalité sociale.