Permettez-moi, chers lecteurs (Rassurez-moi : il y a bien des lecteurs sur ce blog ?), de vous proposer un petit voyage imaginaire. Un voyage dans ma ville, dans ce que j’en vois, dans ce que j’en vis au jour le jour.
Notre voyage commence à ce bureau où je rédige l’article. Il est 13h, c’est la pause déjeuner, mes collègues sont en train de manger. Je les entends parler de l’autre coté de mes deux écrans - je mange presque toujours devant mon ordinateur. L’un d’entre eux raconte les problèmes qu’il rencontre dans son couple. Tous partagent un verre de rouge (du Fronton, en l’occurence). Les filles présentes le conseil, lui disent comment essayer de résoudre les conflits. Le four à micro-onde vibre : un plat est en cours de préparation. Nous n’avons qu’une heure pour manger, donc nous sommes tous adeptes des plats à réchauffer au micro-onde (même si les miens sont préparés à la main la veille). Je sens l’odeur du saumon, l’une des filles doit être au régime.
Descendons un peu. Notre voisin direct est un cimetière. Il y a eu un enterrement ce matin, et la famille de celui qui a été enterré est encore là. Je ne sais pas qui c’était, je ne le saurais jamais. Un enfant ? Un adulte ? Peut-être une personne agée, il y en a beaucoup dans le secteur. Je travail au milieu d’un des “bas-quartier”, comme je l’ai entendu dire, de la ville. Je ne sais pas si il est vraiment bas ou haut ; en tous cas, disons que c’est un des quartiers sensibles de la ville. La population est en grande partie maghrébine, ou agée, et les logements ici sont des HLM. Laissons cette famille endeuillée à sa peine et sortons dans la rue ; de l’autre coté de celle-ci, il y a une école.
Les enfants cris de joie. Je sais que ce soir, certains d’entre eux seront juste à coté, sur l’espace de place en terre, à jouer au foot. Ils ont un ballon et font les zidanes… C’est amusant et attendrissant des les voir ainsi, juste s’amuser, se faire des passes. J’imagine que certains ne seraient pas d’accord, voyant en eux de la graine de racaille qui traine dans les rues. Moi je les voit comme des enfants qui s’amusent, et qui me regardent passer avec de grands yeux, moi qui ne suis pas du quartier, et qui ai visiblement un peu d’argent. Plus en tous cas que beaucoup de leurs voisins, même si je ne suis pas payé grand chose. Parfois un ballon passe à coté de moi, sortant de leur terrain improvisé ; je l’attrape, le leur lance maladroitement. Ils rient un peu de ma maladresse, et je ri aussi de me dire que si les gens qui affirment que tous les étrangers sont des voyous dangereux voyaient cette petite scène, ces quelques gosses qui jouent, ils penseraient surement autrement.
Continuons notre voyage en suivant mon trajet habituel ; le parcours vers le métro nous fait passer devant la poste, où il y a toujours un groupe de femmes, jamais les mêmes, qui discutent en arabe, enroulées dans leurs voiles. Nous arrivons ensuite devant un kebab où je vais parfois chercher à manger. Les propriétaires me saluent, et me demandent de mes nouvelles ; je suis un habitué, même si je ne suis pas du quartier. Je laisse toujours un petit pourboire, et ils l’ont noté ; quelques centimes, mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ? Alors on discute, quelques minutes, ils m’offrent un thé, puis je repart. De l’autre coté de la rue, une boulangerie, où je vais parfois acheter des gateaux - les leurs sont excellents. Tous ces gens sont les acteurs d’un quartier vivant, où malgré tous les préjugés, je n’ai jamais peur de me balader, même lorsqu’il fait nuit, et où tout le monde a un sourire aux lèvres.
Prenons un métro imaginaire : nous voici maintenant en centre-ville. Le sourire a laissé la place à un air sérieux et pressé ; nous ne sommes pas à Paris, mais le centre-ville doit mériter son nom. Des gens en costard passent à toutes vitesse, sans un coup d’œil pour les SDF et les punks qui sont assis par terre. Ici - comme surement ailleurs -, la reine de la rue, c’est l’héroïne, particulièrement chez les punks. Deux d’entre ont sont justement en train de chanter une chanson qu’ils écoutent - je ne la connais pas, mais visiblement les paroles les amusent, ils dansent entre eux. Leurs chiens sont autour, s’aboyant les uns sur les autres. L’un passe une bière à sa voisine. C’est un autre monde que celui que je fréquente d’habitude, mais c’est un monde que je connais - de l’extérieur. Saluons de la main les quelques habitués du coin. Même si les costards qui marchent d’un pas pressé autour d’eux le nient régulièrement, ils sont humains aussi, ils vivent, pensent, aiment, se disputent. Bien sûr, leur vie et leur vision du monde est altérée par la drogue. C’est leur premier réflexe, chaque matin. Mais certains s’en sortent, parfois. Certains se trouvent un appartement, se sortent de la rue, achètent un ordinateur, internet, ré-apprennent une autre vie - et pour reprendre les mots d’une amie, lorsqu’on a internet, on est plus vraiment dans la rue, n’est-ce pas ?
Laissons les punks à leur vie et baladons-nous dans les boutiques de la ville. Le sourire est à nouveau masqué, comme si il était une insulte à l’interlocuteur. Dans les restaurants - rapides, bien sûr : les deux mamelles de l’Amérique ont pignon sur rue ici - et dans les magasins, l’accueil est poli mais froid. Sourions-leur, parlons-leur, commençons simplement par un bonjour : alors le sourire reviens, un sourire qui ensoleille la pièce qui les entour, tandis qu’ils répondent, même pendant quelques secondes, d’un mot, d’un geste, et qu’ils se détendent imperceptiblement ; non, ce client ne sera pas le client pénible, oui, j’ai le droit de me laisser un peu aller et de décompresser durant cette dure journée.
Tous ces gens, les jeunes des quartiers, les SDF des squares, les hommes d’affaires pressés dans leur costard gris, les commerçants et les étudiants qui gagne leurs études, tous sont au final membres d’un même groupe, un groupe qui vit, rit, pleure au fil des jours et des nuits où ses sentiments changent comme un immense vibrato. Tous sont de ma ville, et tous y apporte quelque chose. Bienvenue dans ma ville, bienvenue dans Toulouse.