Très chère Denise,
Après un dimanche riche d’émotion, lors du brunch organisé pour souligner «mon retrait» de la vie journalistique par l'irremplaçable et généreuse JoJo, où sont venus 26 confrères/consœurs de la rédaction, je viens de relire la lettre que tu m’as adressée pour la circonstance.
Quel cadeau que cette lettre!
Je n’irai pas jusqu’à dire que c’était bien que tu ne puisses venir à cette fête, quoique ce message de ta part t’aura non seulement rendue très présente, mais il me reste tel un gage précieux de cette équipée vécue pendant 36 ans où notre complicité professionnelle a fleuri en amitié ouverte sur l'avenir.
Johanne St-Pierre,
l'incomparable organisatrice de nos fêtes
et moi,
l'heureux objet de ce mémorable 3 mai 2009
À l'Auberge des 21 de La Baie
Photo Bertrand Tremblay
Ta lettre, lue par Johanne, ce 3 mai 2009 à l’Auberge des 21 de La Baie, a été applaudie avec émotion par tous. Pardonne-moi si j’ose l’offrir en lecture à un plus large public. J’ignore s’il y a un fond de vanité de ma part ce faisant. Je sais surtout qu’il y a désir de partager les échos chaleureux de ta personnalité,toi l'observatrice intelligente et sensible, la femme authentique à qui j’ai le bonheur de dire au revoir… et que ce soit le plus tôt possible.
Denise Pelletier - 2006 Lors de la fiesta de sa retraite © Photo Jeannot Lévesque
Lettre de Denise Pelletier 3 mai 2009
(Message pour la nouvelle retraitée Christiane Laforge,
de la part d'une vieille retraitée, Denise Pelletier)
Ma chère Christiane,
Je regrette vivement de ne pouvoir être là au moment même où tu viens me rejoindre dans la béatitude d'une retraite… qui n'a pourtant rien de béat, tu le sais bien.
Je te demande donc de me pardonner mon absence aujourd’hui, qui survient parce que tous les groupes dont j’ai fait partie dans ma vie semblent s’être donné le mot pour organiser une rencontre précisément cette fin de semaine! Je me console à la pensée que nous aurons certainement toi et moi bien d’autres occasions de nous rencontrer.
Mes excuses également à vous tous, chers collègues et amis avec qui j'aurais bien aimé partager cette fête.
Donc, Christiane, même si j'ai quitté la section des arts depuis presque six ans, ce qui me vient à l’esprit en pensant à toi, ce sont ces 30 années (j’arrondis le chiffre) pendant lesquelles nous avons travaillé ensemble. Même ci ce fut pendant certaines périodes pour deux journaux différents, c'était néanmoins ensemble. De ce mélange de complicité et d’amitié tissé au fil des ans, je retiens ces quelques éléments.
Les débuts
Je t'ai connue quelques années avant de commencer à travailler avec toi, au moment où tu es arrivée au Collège du Bon Pasteur. Tu venais de loin… de très loin. Tu étais parmi les “petites”, pour moi qui terminais le cours classique. Immédiatement tu t'es fait remarquer par tes prouesses… au ballon-volant!
En 1973, c’est moi qui suis arrivée au Progrès où tu te trouvais déjà depuis quelques années. Ensemble, avec tous les autres collègues, nous avons présidé à la naissance d’un nouveau journal: Le Quotidien.
La section arts et celle des affaires sociales (une apellation que tu as vite substituée à celle de "pages féminines"): deux pages grand format, à alimenter et à monter chaque jour. Comme directrice et responsable de cette section culturelle qui a connu moult formules et versions, tu a su lui imprimer une orientation résolument professionnelle, axée sur la mise en valeur du travail artistique.
La création en marche
Après avoir mis au monde cette section, nous avons assisté, ensemble, à d’innombrables naissances au sein du milieu culturel régional. Des troupes de théâtre, des musées et galeries, des grands spectacles, des maisons d'édition et même un orchestre symphonique, ont pris forme sous nos yeux, et la plupart sont encore aujourd'hui bien vivants.
Mais surtout nous avons vu naître et s’épanouir tellement d’artistes: comédiens, danseurs, musiciens, peintres, écrivains (le masculin inclut le féminin bien sûr), que je ne puis les nommer, tant ils sont nombreux. Nous pouvons nous dire marraines de ces enfants dont certains vont encore aujourd'hui leur chemin, qu'il soit obscur ou glorieux.
Que ce soit au Quotidien ou au Progrès-Dimanche, chacune pour notre journal, avec d'autres précieux collaborateurs, ou ensemble pour le même journal, nous avons posé sur eux le même regard, à la fois affectueux et critique. Nous avons, dans nos écrits, poursuivi le même objectif: les faire découvrir et connaître, les évaluer le plus honnêtement possible. Nous nous consultions quand, par malheur, il fallait souligner leurs faiblesses: nous trouvions cela difficile, mais nous l'avons fait néanmoins, car nous le leur devions, et surtout nous le devions à nos lecteurs.
Aux créateurs de cette belle région que tu as adoptée et qui t'a adoptée, il faudrait ajouter tous les autres qui sont venus de l’extérieur, de très loin parfois, vers nous et vers le public d’ici.
Mais je m'arrête ici car si je voulais faire l’énumération de tout ce que nous avons “couvert” et découvert, il y aurait matière à écrire un très gros livre.
Le soutien mutuel
La pudeur nous empêche parfois d'évoquer publiquement cet aspect du travail, pourtant essentiel entre collègues, entre femmes, entre amies. Quand je traversais une période difficile, physiquement ou moralement, tu le devinais, tu le savais, et sans que nous ayons besoin d’en parler, tu m’épaulais, gommant pudiquement quelques erreurs ou absences. J’espère t’avoir rendu la pareille chaque fois que tu en as eu besoin.
Les attitudes
Nous avons toujours travaillé en collaboration, en association, plutôt qu'en hiérarchie, dans la confiance et le respect mutuels: tu l'as voulu ainsi et je t'en suis redevable.
Différentes et complémentaires, nous avons toujours eu en commun l’enthousiasme, l’admiration, le respect envers tous ces gens désireux d’embellir le monde par leurs créations.
J'ai partagé ta ferveur, ta curiosité et ta confiance dans la nature humaine. Nous nous sommes trompées sans doute parfois, mais somme toute je crois que nous avons fait du bon boulot.
Pas seulement nous, d'ailleurs: tout le monde, journalistes, employeurs et autres employés, a mis l'épaule à la roue pour que nos journaux soient les meilleurs possibles. Toi et et moi ne sommes plus là… d'autres continuent à accomplir ce merveilleux travail, et je les salue.
La passion
Je m’en voudrais de terminer sans rendre hommage à tes qualités personnelles et humaines, que j’ai découvertes et appréciées à mesure que je te connaissais mieux: fonceuse, persévérante, plutôt sûre de toi, parfois téméraire, tu es une passionnée dont les passions deviennent vite contagieuses.
Tu sais plaider ta cause et te montrer persuasive: défendant la section des arts comme une tigresse ses petits, tu es régulièrement montée au front, frappant à la porte du directeur de la rédaction pour obtenir de l'espace, des effectifs, afin que nous puissions mieux accomplir notre travail. Les employeurs n'ont bien souvent pas eu d'autre choix que de souscrire à tes demandes.
L'écriture
Dotée d'un solide sens de l'humour, tu sais te montrer attentive aux petits détails qui expriment les mouvements de l'âme humaine.
Tu possèdes à merveille l'art de saisir les nuances d'une émotion, qu'il s'agisse de la tienne ou de celle des autres, et de les exprimer avec une grande clarté teintée de poésie.
L’écriture est une part importante, sinon essentielle de ta vie, et en lisant ton "texte d’adieu" publié dans le journal et sur ton blogue, je retrouve toutes ces qualités qui sont les tiennes: justesse, sensibilité, sens de la nuance, générosité. Et suis sûre que tu mettras tout cela au service de projets qui te sont chers et que tu pourras enfin réaliser.
Fidèle et généreuse, tu sais surprendre ou rassurer ceux qui t’entourent. Tu es beaucoup aimée et entourée, sûrement parce que toi-même tu aimes beaucoup.
La mémoire
Bref, ma chère Christiane, de notre aventure commune je ne garde que de bons souvenirs qui me nourrissent encore aujourd'hui. À ton contact, je me suis enrichie (au sens figuré, bien sûr!) de plusieurs choses et surtout, de notre indéfectible amitié.
La vie qui bat
Bonne retraite, chère amie, je crois que tu as déjà compris, grâce au jeune Victor qui se pointe le nez au moment où tu quittes le journal, que la vie continue, que la vie qui veut vivre te tiendra encore longtemps occupée.
J’ose néanmoins te souhaiter de pouvoir ralentir quelque peu le rythme et prendre un peu de repos: tu verras, non seulement c’est faisable, mais c’est même agréable.
Denise Pelletier
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