Le jasmin n'est pas joli

Publié le 17 septembre 2007 par Véronique Bessard

Un soirée d’août en Espagne, on mange sur la terrasse dans l’odeur narcotique du jasmin. La vie est douce, les hôtes sympathiques et la nourriture excellente. Les vacances ne font que commencer. Les enfants courent autour de la grande table en poussant des cris de plus en plus aigus. La grand-mère, agacée mais tendre, saisit le plus petit par le bras et lui dit : «Tiens, Pablito cueille quelques fleurs et va les mettre sous l’oreiller de ta mère. » L’enfant ravi s’exécute en riant et tandis qu’il cueille les délicates fleurs blanches, Paula se penche vers moi et me chuchote à l’oreille : moi je trouve que le jasmin ça sent la m…. Je ris, Paula à son franc parler mais je sens bien qu’elle n’a pas tout tort : Oui, peut-être tu as raison, mais pas seulement, pas seulement… Je n’arrive pas à en dire plus. Impossible de prendre la défense du jasmin, je n’ai pas les mots pour le faire. Non, je ne peux rien dire sur cette odeur qui pourtant depuis le début de la soirée m’a plongée dans une douce torpeur. 

Aujourd’hui, Paula, je pourrais te raconter le jasmin : son départ fruité, juteux et vert, ses accents de cassis, de citron, de banane écrasée, toute miellée. Je te dirais : écoute comme il est à la fois fragile et puissant, comme il se déploie tout doucement dans la nuit, reste tranquille et tu entendras ce murmure floral, velouté, orangé, gras, cireux, vibrant. Finalement laisse-toi emporter par la sensualité de son haleine lourde où les notes animales se mêlent à celles des pêches et des abricots. Il est tout en pleins et en courbes. Il est beau et la beauté n’est pas toujours confortable, elle n’est pas sans aspérités, elle n’est pas lisse, sinon elle ne serait que de la joliesse. Le jasmin n’est pas joli, il est beau. Tu entends Paula ? Mais ce soir là je reste silencieuse et la conversation repart sur un autre sujet, les vacances continuent et j’oublie le jasmin jusqu’à un autre mois d’août. Mais ça, c’est une autre histoire.