L’averse

Publié le 12 mai 2009 par Jlhuss

Par l’anachroniqueuse

Depuis les couloirs du métro, je sens la claque froide de l’eau sur le pavé. Les escaliers se figent en torrent crasseux, charriant tickets et mégots. Les filles secouent leurs cheveux frisouillés et désembuent leur mobile. Une infusion de poussière chaude et de gras de bitume empli l’air des couloirs d’une seule haleine… Rhalala, il pleut …

-« Merde. »

Le matin même, il y a 30 minutes à peine, le ciel de la courette encadrait un bleu d’azur. À la sortie de l’immeuble, un collier de nuages serrait de près le quartier et voilà qu’en sortant au bout du tunnel : il pleut. Depuis des jours, cette pluie embue notre été citadin,  dilue la sève, l’espoir, l’entrain.

- «… J’avais passé du temps à me sécher les cheveux. »

Au bas des marches, dans les premières flaques rampant déjà vers les portillons, les plus malins déploient leurs parapluies avec aisance et satisfaction : télescopique ou format practice de golf (1), du chic Libertyprout à la panthère banlieusarde, du noir impeccable au mangatruc nippon, tous les styles se paient une éclosion minute, à coup de bouton pressoir.

-« … Je suis en ballerines découvertes. »

Là-haut, tous sont déjà lancés sur les trottoirs. Ces étranges bolets (2) thermonucléaires, aux couleurs toxoplasmiques (3), s’accrochent en grappe aux passages piétons, portes cochères, arrêt de bus. Aveugles, ils embrochent l’épaule, l’oeil et le sac au passage, vous déversant un filet d’eau sale dans le cou, d’un jet de baleine. Les sans impers et les sans abri (4) tentent de se frayer un chemin entre ces ombrelles tamponneuses qui font rebondir la foule du trottoir comme un jeu de flipper (5) vers les stores de boutiques (6) et les halls d’entrée d’administrations, la marquise d’un hôtel (7).

-« … J’ai les pieds nus dans mes chaussures. »

Les bus déchirent les flaques dans un grand chuintement de gomme et propulsent l’eau du caniveau presque sur les chevilles. L’été recule à toute vitesse. On slalome entre les mares (8) déjà bien creusées, les gratuits du matin croupissent à l’entrée de la station, même les chiens filent doux, délaissant les poteaux au parfum congénère.

-« … Je n’ai qu’une toute petite veste de toile sur mon chemisier».

Encore une rue pour rejoindre le bureau. Tête baissée, je fonce en tachant de réduire ma prise à l’eau. Au café, les heureux hommes du matin ou du soir font une halte et sirotent un crème comptoir ou un blanc sans faux-col en pestant contre la fonte glacière Quelle chance de pouvoir se chauffer aux lumières du bar en froissant l’horoscope du Parisien ! La ville gris souris (9) blanchit sous l’averse qui redouble. Les gouttes semblent grosses comme des noix quand elles s’écrasent sur la tête, traçant directement vers le coin du sourcil.

- « … Mon sac en toile est trempé ».

Voici la porte de verre sablé, le sas qui sent le chien mouillé et la poussière blonde des moulages d’art. Les collègues de bureau parlent du temps devant les ascenseurs, comptent les jours avant la « quille », les grandes vacances qu’ils guettent pour certains depuis septembre dernier. En montant vers le ciel d’étain de la ville, dans l’ascenseur transparent qui tasse tous les vertiges, je pense à la pluie morvandelle, celle d’une nature argileuse au bois détrempé aux fourrures animales et à la senteur des siècles.

(1) Salut Bourrique !

(2) Salut Quidam !

(3) Salut Chantal !

(4) Salut Alain !

(5) Salut le Chat !

(6) Salut la Parizienne !

(7) Salut Satanas !

(8) Salut Arion !

(9) Re-salut le chat.

Lana

[1ère édition 04 juillet 2007]