Un écrivain hors du commun : Simenon (3)

Publié le 12 mai 2009 par Mazet

A la fin de l'année 1930, le romancier a déjà écrit plusieurs enquêtes du commissaire Maigret, mais Fayard n'est pas pressé d'éditer la nouvelle collection : il demande toujours à Georges Sim des romans populaires, payés d'ailleurs beaucoup moins chers... Simenon va pourtant s'obstiner et avoir gain de cause : le 20 février 1931, ce sera le lancement des Maigret. Le romancier se transforme ici en professionnel du marketing en organisant une soirée où le Tout-Paris sera invité. C'est le fameux " Bal anthropométrique ", dans une boîte de nuit de Montparnasse, soirée insolite puisque les invités sont déguisés en gangsters ou en prostituées ! Contrairement à l'épisode de la cage de verre, cette manifestation de promotion a bien lieu, et le lendemain, la presse fait largement mention de l'événement dans ses colonnes. Cette fois, c'est un succès et Maigret se vend très bien dans les semaines qui suivent le " Bal anthropométrique ". Désormais Fayard peut être rassuré sur le sort de sa collection, tandis que le cinéma s'empare de ce nouveau filon. Le Chien jaune est porté à l'écran par Jean Tarride un an après la parution du roman, tandis que Jean Renoir adapte La Nuit ducarrefour en 1932. Malheureusement, ces films - pour diverses raisons - ne sont pas des succès : après une troisième expérience (avec La Tête d'un homme), Simenon abandonnera tout projet d'adaptation pour plusieurs années.

Entretemps le couple décide de s'installer à la campagne, dans une gentilhommière du XVIe siècle située entre Nieul et Marsilly, près de La Rochelle. Simenon, nouveau gentleman-farmer, a un bureau pour écrire ses romans, Tigy installe un atelier de peinture et Boule est toujours fidèle dans son rôle de cuisinière. Cependant, cette quiétude a vite un goût de lassitude pour cet homme qui n'a pas encore trente ans, mais qui a soif de découvrir le monde. Alors après le grand Nord, c'est à présent l'Afrique qui attire le romancier : le couple s'embarque donc pour l'Egypte, puis se rend à Khartoum, traverse l'Afrique d'est en ouest pour aboutir à l'embouchure du fleuve Congo. La découverte du continent africain se terminera par un retour classique en bateau par l'ouest, voyage qui lui inspirera plusieurs romans " exotiques ". Le public retiendra surtout une série d'articles publiés dans l'hebdomadaire Voilà sous le titre " L'heure du nègre " : Simenon qui maintenant a chassé de son esprit un certain nombre d'idées reçues et de clichés se fait le champion de l'anticolonialisme

Après l'expérience africaine, le grand reporter envisage une nouvelle série d'articles : il s'agit cette fois de mener l'enquête en Europe... La première étape de Simenon est l'Allemagne - nous sommes en 1933 - et il enverra à son journal plusieurs reportages qui laisseront la direction de Voilà un peu perplexe. Le journaliste ne fait pas preuve d'une grande clairvoyance et ses analyses sont jugées ambiguës, au point que la direction de l'hebdomadaire le censure parfois. Il réussit cependant un " scoop ", comme on dit aujourd'hui, en réussissant à interviewer Trotski, exilé à Prinkipo, une île de Turquie. L'année 1933, c'est aussi l'Affaire Stavisky : elle commence à intéresser le reporter, qui dans ce cas précis a tendance à se prendre pour son personnage favori. Simenon-Maigret mène donc l'enquête après le suicide de l'escroc et la mort suspecte d'Albert Prince, pour le compte de Paris-Soir. Comme le montre encore Pierre Assouline, le romancier qui joue ici au détective se révèle être un piètre amateur en se laissant piéger par des informateurs du milieu et en publiant des articles qui ne peuvent vraiment pas être pris au sérieux. Bref, Simenon ne sort pas grandi de cette expérience de journalisme d'investigation.

Humilié par cet échec, le romancier juge qu'il est temps de se faire oublier et veut cette fois aller très loin. Un tour du monde lui semblant idéal, il part donc en décembre 1934 pour New York, Panama, les Galapagos, Tahiti, l'Australie et la mer Rouge... Il profite de chaque étape pour envoyer des reportages à plusieurs journaux comme Paris-Soir ou Marianne, mais s'imprègne surtout de personnages, d'ambiances ou de paysages : six romans seront directement inspirés de cette expérience exotique.

L'année 1934 est pour Simenon un nouveau palier. Après les illusions, c'est le renoncement à une certaine forme de journalisme qui le tentait, c'est aussi la décision d'abandonner Maigret. Trois ou quatre ans plus tôt, il avait annoncé clairement que son " meneur de jeu ", c'est-à-dire Maigret, ne devait être qu'une étape dans sa carrière littéraire : désormais, il pense pouvoir se passer du célèbre commissaire et claque la porte de son éditeur, Arthème Fayard