L'alpha et l'omega

Publié le 14 mai 2009 par Headless
A , B, C...
Sébastien Smirou posait sur son blog la question d'une possibilité d'un alphabet du trait. Voilà ce que cela m'a inspiré.
Débat intéressant. Je ne sais pas si la comparaison entre trait et lettre (alphabet) tient. Il faudrait plutôt rappocher trait et graphie, c'est à dire non pas la lettre mentale ou typographiée mais la lettre incarnée, par la façon qu'à chacun de la tracer.
Par exemple le mot "force" écrit de façon franche et vigoureuse et le même écrit d'une main tremblante ou d'une écriture mince et fragile, ça ne dit déjà pas la même chose.
Graphein et graphisme ont la même source, ça c'est une piste.
Pour ce qui serait d'un alphabet du trait dans lequel chaque dessinateur pourrait puiser à l'envie pour s'exprimer, je n'y crois pas trop non plus. En tout cas pas dans l'optique que j'en ai, le trait précède le sens et le langage. Il est son propre langage et invente à chaque fois un alphabet. Chaque dessinateur peut créer sa langue.
On pourrait imaginer un usage conceptuel et systématisé du trait. Mais ce serait seulement une des possibilités du trait, qu'on pourrait contredire. Ce serait juste une convention.
Pour ce qui est de l'exercice du cut up aussi bien littéraire que graphique, bien sûr l'éclatement déconstruit et reconstruit autre chose. Mais réduire des traits et lignes en fragments n'en font pas pour autant des "lettres" (en temps que signe ayant une entité et un sens propre), tout dépend d'une "grille" de découpe qui est quelque part arbitraire. Par contre,faire l'inverse (déconstruire des typographies) nous fait vite retomber dans du dessin, du visuel. Mais le dessin, me semble-t-il, dépasse le langage. Il le précède,partageant ses constituants avec le monde (points, lignes, plans dirait Klee).
Le dessin a cette force d'être un message silencieux. Il nous remet chaque fois face à la stupéfaction
du spectacle du monde. L'enfant voit, ensuite il dit. Alors le dessin devient l'intermédiaire entre le vu et le dit. Les formes tracées prennent un sens et renvoient au monde.
Dans le textuel, le visuel devient un moyen (la lettre dessinée) pour accéder au signifié. Dans le dessin, le visuel est à la fois la base, le point de départ et la fin.
L'alphabet du dessin et du trait c'est le réel, c'est le monde.
Delacroix disait que la nature n'était pour lui qu'un dictionnaire.
Et encore de lui, à méditer :
« la peinture, je me le suis dit mille fois, a ses faveurs qui
lui sont propres à elle seule. »
« L’art des peintres est d’autant plus intime
au coeur de l’homme qu’il paraît plus matériel ; car chez lui, comme dans la
nature extérieure, la part est faite franchement à ce qui est fini et à ce qui est
infini, c’est-à-dire à ce que l’âme trouve qui la remue intérieurement dans
les objets qui ne frappent que le sens. »



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