Magazine Journal intime

Tapins

Publié le 15 mai 2009 par Lephauste

J'ai fait le pied de grue sur les chantiers, chanté la chanson des maçons, filé mes bas dans les dépôts, les hangars, les entrepôts. Je me suis offert à qui voulait, pour trois francs six sous que je le servisse. Libraire, petite main, arpette, magasinier, chauffeur ... Mais j'ai jamais gagné ma vie, je l'ai perdue dans les délices. J'ai travaillé en autochtone, parfois hilare, parfois aphone mais jamais vraiment concerné par l'encours des affaires à faire. Je pointais chez un tel, émargeais chez l'autre, au cachet, à l'heure, à la tache. Rarement pour des honoraires mais bien docile aux horaires, j'arpentais les salles d'embauche en prostitué modèle standard.

- Ça vous va ? Ça ira ! Alors demain huit heures, soyez ponctuel. On vous écrira.

J'étais diplomé des écoles, Certificat d'Etudes Primaires. Je me lançais sans barguigner à l'assaut de la carrière, je fendais l'air. Qu'on se tienne bien ! J'arrivais, j'allais arriver ... On verrait ça ! Oui, mais que faire ? Tendre vers l'improbable en usant des possibles, faire carrière en coulisses tout en rinçant "les verres au fond du café ... J'ai bien trop à faire pour pouvoir aimer" ... La plonge ? En voila un beau métier ! Et pourquoi pas cuisine tant que tu y es ? Je fis celui qui n'entend pas et me le gardais pour moi. Je ferais cuisinier puisque les autres voulaient tous faire affamés de pouvoir, de savoir et assoiffés de gains et réussir, R.E.U.S.S.I.R ? Un mot d'ordre ! Un concept, s'épanouir, vivre pleinement l'épanouissement de sa carrière à laquelle était adossée, c'était écrit quelque part  dans les tablettes, l'échelle de l'ascension sociale ...

- Un enfant ? Mais tu n'y penses pas, Paul va être démobilisé, ma boite va être délocalisée, mon poste est conservé, au titre du 1% patronal et en plus, tiens toi bien ! Nous venons de faire l'acquisition d'un ravissant bungalow au bord de la mer d'Aral. Sans compter que tante Emeline est au mieux avec le médecin du demi-frère du père de celui qui bien que n'ayant pas vu l'ours vit comme un nabab, avec le RMA.

Je me postais donc au pied de l'échelle et j'attendis que les portes s'ouvrent. Ce qu'elles firent au bout d'un bref moment. Tu veux être cuisinier toi ? C'est pas demain la veille. Et après demain ? C'est trop tard ! Mais si tu veux il y a les cuivres à faire... La dure leçon d'humilité, l'apprentissage lent mais fructueux, la capilarité des connaissances qui du maître au disciple foisonnent au premier regard. Les gestes patiemment répéttés, jusqu'à l'obtention d'une pâte légère et homogène : Laissez reposer et pendant ce temps mettez en oeuvre la seconde partie de la recette qui consiste en la confection d'un appareil de crème patissière, de fruits confits et de marasquin. Procéder comme suit (Planche et Sylvestre, 1977). Et je fis de brèves fortunes que j'engloutissais en des temps records pour oublier les calcinations, le gras et le maigre qui se dévoraient de flammes et de vapeurs. Et transforment tout bon cuisinier en son propre produit, pour peu que le terroir l'ai laissé filer à travers champs. J'étais dans la cambuse, à la place de maman. Grouillot, peluches, parer, laver, émincer, ciseler, fondre, farcir, brider, brocher, décanter, dresser, napper, gâte-sauce, cuire, pocher, frire, blanchir, faire un roux, un blond, un brun, lier, tremper, gueuler, brailler, boire, éviscérer, foncer, faire une abaisse, six huit tours, chemiser, découper, flamber, rôtir, braiser, ça alors ! Monder et à l'immondice, à la fin du service, sourire. Ce pendant que le chef fait le tour de la salle, se fait soigner par le gratin :

- Ah mon salaud ! C'était divin ! Mais comment faites vous donc ?

Comme vous je fais tout comme vous. Je fais Hum ! Je fais Ha ! Je fais Ho ! Et après, je rentre à la maison.


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