Nous étions assis l’un en face de l’autre dans la cuisine, je ne sais plus si c’était le midi, l’après-midi ou le soir. Il faisait beau ; c’était le printemps et les merles n’arrêtaient pas de siffler.
J’ai lancé :
- Je quitte Paris.
Tes yeux se sont immédiatement teintés d’un mélange d’ébahissement et de colère. Je croyais y voir toute la déception, toute la rancœur, toutes les futures emmerdes que cette nouvelle véhiculait pour toi et pour moi. Quitter Paris, c’est un constat d’échec.
Tu as lâché calmement une réponse :
- Eh bien tu quittes Paris ! J’imagine que si tu m’en parles c’est que tu as réfléchi, que tu as déjà pris ta décision.
Je ne pouvais pas tellement te dire que j’avais pris la décision durant la nuit. Une nuit sans beaucoup de sommeil. Tu sais, je ne suis pas une femme ésotérique, non, je ne crois pas beaucoup en Dieu, en tous ces phénomènes comme le dialogue avec les morts. N’empêche qu’avant de me coucher cette nuit-là, j’avais posé sur ma table de chevet, faces cachées dans la poussière, deux minuscules prières, Sainte Rita (pour les causes désespérées) et Saint Antoine de Padoue (l’ami fidèle de ma grand mère). Et c’est cette nuit-là, la nuit aux prières, que j’ai entendu dans ma tête ma décision. Partir.
Evidemment il faudra que tu m’aides à déménager et que tu m’héberges pendant quelque temps. Tu dis toujours que chez toi, c’est chez moi. Bien sûr, je n’ai pas l’intention de rester très très longtemps chez toi, oisive, même si chez toi c’est le printemps et que les merles sifflent gaiement.
Lorsque j’étais adolescente, maman m’a acheté le grand atlas du monde. Couverture en gros cuir bleu marine. Il a été imprimé en 1990 en RFA. Le monde a beaucoup changé depuis 1990 ; la RFA n’existe même plus. Moi je n’ai pas changé, j’ouvre toujours le grand livre avec le même plaisir, la même gourmandise, persuadée qu’un jour je tracerai des lignes à travers le globe. Je crois qu’il est temps ; bientôt vingt ans que j’attends d’avoir un grand courage.
Tu sais combien j’aime écrire des listes et dresser des bilans. Tu sais que depuis quelque temps je n’arrête pas de me revendiquer sans. Sans amoureux, sans enfant, sans emploi, sans appartement, sans bague Yves Saint Laurent, sans bottes couleur beige, sans désir important. A l’intérieur de moi, ce n’est pas vide mais ce n’est pas plein non plus. C’est pour ça, je crois, qu’il faut que je change de ligne d’horizon. Trouver un ailleurs pour se trouver soi. Une folie de plus ?
Puisque je ne dois aucun argent à aucun organisme de crédit, puisque je n’ai pas d’amoureux, pas d’enfant, puisque je suis fille sans, puisque j’ai encore quelques billets -que tu m’as donnés d’ailleurs-, dans les prochains mois je compte voyager. Vincent G. a tout bazardé pour faire le tour du monde, il doit rentrer vers septembre. Vers septembre je partirai. Tu vois, je n’ai pas fait refaire mon passeport pour rien. Je pense partir vers l’Est, si ça tourne mal, je pourrais toujours revenir chez moi-toi ?
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu