"Voilà plus de huit semaines qu’étudiants et enseignants de la Sorbonne sont interdits de travailler. Des piquets de bloqueurs empêchent l’accès aux salles et aux amphis. Ceux qui voudraient enseigner, ceux qui voudraient étudier, assistent impuissants et atterrés à la déchéance d’une université qui leur était chère. Ils cherchent à comprendre comment on en est arrivé là.
Nous sommes en pleine crise économique, et sans doute à la veille de désastres plus grands encore. Nous entrons dans un temps qui sera celui des démagogues. Dans des circonstances aussi périlleuses, il était du devoir des enseignants d’aider leurs étudiants à se construire intellectuellement et moralement, afin de les équiper pour les épreuves futures. Au lieu de cela, nous les voyons en grand nombre donner l’exemple de la dérive idéologique la plus extrême, nous les voyons persuader les étudiants de sacrifier un semestre d’études, de dissiper leur temps dans des AG volubiles et stériles. Ces militants qui reprochent constamment au gouvernement son autisme semblent vivre dans un monde protégé totalement déconnecté des dures réalités d’aujourd’hui.
Mais le plus étonnant n’est pas là. Ce qui surprend plus que tout, c’est la passivité de ceux qui ne participent pas à l’entraînement idéologique des fanatiques, c’est le consentement à subir des humiliations, à s’abaisser, à se soumettre. Des groupes de gardes rouges ne se gênent pas pour apostropher les professeurs, pour fouiller leurs cartables (n’iraient-ils pas enseigner en cachette ?), pour les insulter. Et les enseignants encaissent ces procédés sans broncher, sans se rebeller, sans oser protester.
Comment expliquer cette acceptation résignée de la violence, ces abdications devant des violations flagrantes du droit ? Comment comprendre cette propension à justifier l’inadmissible ? La raison tient à mon sens à la vieille tradition jacobine enracinée en France. Un comportement de gangster, comme la séquestration des patrons, les coupures sauvages de gaz ou le blocage des universités, bénéficie toujours d’une grande complaisance dans les media et dans l’opinion pourvu qu’il se camoufle derrière une rhétorique de lutte des classes et de revendication. La violence est sanctifiée par la mythologie de gauche. Ceux qui éprouvent des réticences intimes devant l’usage de la force justifié par l’idéologie se sentent vaguement coupables. Ils critiquent les formes prises par la lutte, sans s’opposer à son principe. Ce qui manque en France, c’est la claire conscience du droit. Or sans cette claire conscience il ne peut y avoir ni courage ni résistance. La Sorbonne est en train de mourir de ce mal français".