Quelle importance…
Quelle importance que, dans le plus parfait anonymat, des milliers d’employés
de PMI/PME se retrouvent sur le carreau chaque jour, et viennent grossir la
liste silencieuse des véritables victimes de cette crise économique.
Quelle importance que ces "débarqués" du système constituent l’immense majorité
du contingent qui paie au prix fort les retombées du séisme sans que leur sort
n’ait la moindre chance d’être mis en lumière par la bulle médiatique.
Quelle
importance que pour eux, il ne soit même pas question de niveau d’indemnité
renégocié, de solution de reclassement, ou d’aménagement de plan social.
Quelle importance que du jour au lendemain, ces anonymes se réveillent avec
comme avenir immédiat leur seul préavis légal, leur solde de tout compte et les
subsides temporaires de l’assurance chômage pour envisager leur survie et celle
de leur famille.
Quelle importance, puisque ce qui alimente l’inquiétude des partenaires
sociaux aujourd’hui, c’est le mécontentement des électriciens gaziers, dont on
voudrait nous faire la démonstration qu’il est légitime…
En effet, peu importe que des milliers d’autres infiniment moins chouchoutés
par leur employeur, prennent en pleine gueule la réalité des incertitudes qui
les attend. Les "casques bleus", eux, considèrent qu’il est opportun de se
lamenter sur leur propre sort.
On le sait depuis longtemps, les antennes syndicales
d’EDF/GDF, parfaitement téléguidées de l’intérieur par
quelques survivants du bolchevisme, ne se sont jamais embarrassées de la
moindre pudeur envers ceux qui, eux, ne profitent pas du millième des
privilèges qu’un statut ultra protecteur abrite de toute contorsion
sociale.
Rien d’étonnant, donc, qu’au beau milieu de cette crise et de ses vraies
victimes, les mêmes pleurnicheurs n’aient aucun scrupule à se lamenter sur les
modalités de leurs avancements, le montant de leurs primes ou l’avenir de leurs
sacro-saints acquis.
Autrement dit, aux dizaines de milliers de nouveaux licenciés qui vont aller
grossir les listes du pôle emploi pour tenter de se reconstruire, les
syndicalistes d’EDF/GDF vont faire l’étalage des injustices
jugées inacceptables réservées à leurs agents, et le bien fondé de leur
colère.
En gros, à ceux devant qui tout vient de s’écrouler, ils vont dire
combien la sécurité garantie de leur emploi, les tarifs énergétiques "cadeaux",
les 13emes mois, les revalorisations systématiques, les congés pléthoriques,
les retraites à 75%, les couvertures médicales intégrales, les horaires
aménagés et les comités d’entreprises dorés ne sont pas des arguments
suffisants pour leur permettre supporter sereinement cette
crise.
On veut bien entendre que la défense des acquis constitue une priorité.
Mais comment ne pas bondir devant ces mises sac, ces coupures sauvages, ces
opérations escargot et ce déballage de complaintes syndicales pour faire
aboutir les revendications corporatistes de quelques préservés (qui à coup sûr
leur seront consenties), quand au même moment, dans une dignité presque
résignée, le reste des forces vives du pays regarde passer le train toujours
plus long des dégraissages en priant pour ne pas en garnir les wagons
?...
Et peu importe que ceux qui auront pris de plein fouet la dégringolade de notre
économie, continuent de payer leurs factures énergétiques en constatant, avec
impuissance, qu’un pourcentage de leur règlement contribuera directement à
alimenter les vacances à prix réduit des mêmes insatisfaits chroniques qui
gémissent à contre courant.
Alors oui, on peut se scandaliser du réajustement royal de leur PDG et en tirer
une comparaison qui peut choquer. L’argument est donc tout trouvé pour faire
valoir la nécessité d’une meilleure redistribution des bénéfices.
Face à une opinion publique subtilement prise à témoin, il devient du même coup
légitime de réclamer une part du gâteau plus conséquente, et dans la foulée, de
remettre sur la table des doléances le lot de réclamations habituelles sur la
privatisation larvée, le non remplacement des agents mis en indisponibilité (le
mot "retraite" n’existe pas chez EDF/GDF) et l’éternel
délitement du service public qui, parait-il, résulte de l’hémorragie organisée
du personnel.
Pour ce faire, les outils sont connus… Grèves, blocages, coupures etc, pour
obtenir des fonds supplémentaires affectés aux revalorisations salariales et un
retour aux embauches.
Des fonds et du personnel…
Personne n’osera faire l’affront aux leaders syndicaux de l’énergie de leur
rappeler que si le salaire de leur patron est une provocation insupportable,
les quelques 880 millions d’euros brassés chaque année pour faire fonctionner
le gouffre sans fond de leurs comités d’entreprise hollywoodiens, en est une
autre.
Pas plus qu’il ne sera fait état des 6000 agents à plein temps qui y sont
affectés sans jamais voir la couleur d’un transformateur ou d’une conduite de
gaz, et dont la cour des comptes ne sait plus dans quelle langue il faut
rapporter
la gabegie et les méthodes de gestion pour le moins ténébreuses…
La plus élémentaire des règles de décence aurait donc voulu que quand on est
confortablement assis sous un tel parasol social, on ait la correction de
s’abstenir de foutre le bordel quand d’autres, mis a genoux, en sont réduits à
livrer des combats désespérés avec comme seul espoir que de ramasser les
quelques miettes que le rouleau compresseur aura bien voulu leur laisser.
Mais dans les stratégies syndicales en vigueur chez les hommes en bleu, ne
figurent pas ces considérations.
C’est même tout le contraire…
Quel meilleur terreau que cette société fragilisée par les malaises à
répétition pour enfoncer le clou des exigences catégorielles qui n’en finissent
plus de grossir des listes déjà bien fournies. Et surtout, quel meilleur moment
pour apporter leur contribution à un incendie qu’il ne faut surtout pas laisser
retomber, sous peine de laisser passer une chance inestimable de bombarder une
ambulance bien mal en point…
Pas besoin de plisser les yeux pour distinguer les silhouettes de ceux qui
tirent les ficelles de ces pantins gesticulants et vociférants. Ce sont les
mêmes qui depuis des décennies ont établi leurs quartiers officieux dans les
bureaux des C.E évoqués plus haut au frais des clients (nous…), et qui en
entretiennent soigneusement l’opacité.
Alors ne comptez pas sur eux pour canaliser ces pratiques syndicales
outrancières. Car chez eux, la réussite du combat ne se mesure pas en listant
les avancées obtenues, mais en comptabilisant le maximum de foyers de
contestation.
Ce raisonnement simpliste qui consiste à faire croire qu’on juge l’efficacité
de l’action en comptant le nombre des mécontents, et en s’empressant de s’en
féliciter…
Encore une fois, à vouloir ramasser les restes du festin avec une cuiller en
argent au beau milieu d’une foule d’affamés, les grèviculteurs de l’énergie
auront un peu plus écorné l’image du syndicalisme dans ce qu’il a de plus
noble.
Ils auront accompli la prouesse d’éclipser l’explosion quotidienne des
licenciements économiques et son lot de drames anonymes, en exhibant leur
arsenal de nuisances dans un combat d’arrière garde aussi indigne
qu’inopportun.
Les vrais laissés pour compte apprécieront…