Magazine Journal intime

Bolaño: retour à l'ordre

Publié le 18 mai 2009 par François Monti
J'ai beaucoup de temps libre pour le moment, ce qui me permet de terminer ou de continuer à travailler sur d'anciens projets (l'article sur le livre de Daniel Sada publié récemment sur le Fric-Frac Club avait été abandonné pendant deux mois, j'ai aussi relu pas mal de Mishima et il serait temps que je concrétise vraiment mon texte à ce sujet), d'en lancer de nouveaux mais aussi, bien sûr, de lire encore plus que de coutume. Etrangement, pourtant, ça ne se traduit pas nécessairement par une plus grande activité sur ce blog. Comme si, sachant ne pas être pressé, je préférais m'occuper de choses de plus grande ampleur, qui demandent, justement, une gestation plus longue. On verra ce qu'il en ressortira. Toujours est-il que je me suis replongé, il y a quelques jours, dans une relecture de l'oeuvre de Roberto Bolaño. Il n'est pas bien original de dire qu'en matière de littérature, ce qui importe bien souvent, ce qui apporte richesse à notre perception d'un roman, c'est la seconde lecture. Dans le cas de Bolaño, découvrir l'ensemble (ou presque) de son travail sur deux ans est évidemment un grand choc qui se ressent dans une sorte de bonheur stupéfait ne permettant pas toujours critique ou analyse véritable. Sur les premiers titres, quand bien même ce qu'on en dit est juste, ce qu'on y voit est pertinent, on tatonne à la recherche de quelque chose que seules nos lectures suivantes de l'auteur pourront nous donner. Ainsi, sans même se soucier de chronologie, lire « Les détectives sauvages » avant tout et puis passer à « Monsieur Pain » ne laissera pas les mêmes sensations que de le faire dans le sens inverse. Une relecture des « Détectives sauvages » alors que le reste a été lu au moins une fois sera donc non seulement différente (tout lecture étant de tout façon différente) mais surtout changera notre perspective sur l'oeuvre générale de l'auteur. Et c'est ça qui m'intéresse aujourd'hui.
On parle toujours de Bolaño et du fascisme, ce qui est normal et légitime. Ce qui m'intrigue depuis quelques temps et que je n'ai vu examiné nulle part (envoyez-moi des références s'il y en a), c'est la question de la représentation de la gauche. Le thème est moins courant, les passages pertinents sans doute plus difficiles à trouver mais, de mémoire, je me souviens du trotskiste de « La littérature nazie en Amérique », de plusieurs scènes dans « Nocturno de Chile » et d'une altercation avec un chauffeur de taxi dans « 2666 » qui dépeignent un sinistre portrait. Pour rechercher d'autres traces éventuelles autant que pour relire l'esprit clair (c'est-à-dire débarrassé de l'ébahissement initial), je me replonge donc dans tous les livres de Bolaño et ce de façon chronologique, histoire de voir s'il y aurait, dans ce domaine-là, une évolution. Bien que je sois à la recherche d'éléments précis, je ne pense pas me fermer à tout ce qu'il se passe d'autre, ce qui devrait permettre de parler en ces pages de ce qui n'apparaîtra pas dans l'article que j'espère tirer de ma relecture.
J'ai commencé par « Anvers » qui semble être le plus vieux texte disponible (1980). J'en avais gardé de très bons souvenirs et me suis rendu compte que c'était sans doute dû à une sorte d'ensorcellement. Il y a dans ces 126 pages une qui est absolument magistrale: la dernière. J'en avais déjà utilisé un extrait en citation il y a un bout de temps. Le reste n'est malheureusement pas à la hauteur. « Anvers » est une collection de fragments (débuts, milieux ou fins de..) plus que le thriller sans solution annoncé en quatrième de couverture. Ce ne serait pas un problème si les fragments en question avaient assez de puissance pour que l'on puisse passer outre (les intranquilles fragments de Pessoa reçoivent peu de plaintes) mais malheureusement « Anvers » penche un peu trop du côté du fragment dénué de sens: abondent le phrases qui ne veulent absolument rien dire et qui même d'un point de vue sonore, rythmique ou poétique sont mauvaises. En refermant « Anvers » pour la seconde fois, on est soulagé de ne pas avoir commencé par celui-ci à l'époque (et dire que ça avait été, pendant un temps, mon intention). Bien sûr, tout n'est pas à jeter, mais l'intérêt est presque... anthropologique. On y voit déjà les traces de thèmes, d'éléments voire même de tics d'écriture qui feront d'un exilié chilien de plus l'un des grands écrivains de notre temps. Dans ce texte, Bolaño se cherche et c'est le lecteur qui le cherche qui trouvera ici de quoi retenir son attention.
J'ai ensuite lu « Monsieur Pain », roman dont j'avais gardé un moins bon souvenir que pour « Anvers » bien que je ressente, toujours aujourd'hui, une certaine affection pour pas mal de ses éléments. « Monsieur Pain » est en fait, à l'autopsie, clairement meilleur que son prédécesseur bien que de manière évidente une pièce vraiment mineure de l'oeuvre bolanienne. Il s'agirait de la première tentative réussie de terminer un roman. Bref et très peu « centré », mais roman quand même. J'aime beaucoup le personnage de monsieur Pain, « héros » et narrateur de ce récit, qui ne fait rien ou presque (si ce n'est une séance auprès du patient Vallejo – autour duquel, pour ceux qui n'ont pas lu, tournerait un étrange complot fasciste visant à s'assurer qu'il meure pour des raisons non déterminées --, Pain l'occultiste de l'acupuncture passe son temps à préférer ne pas ou quelque chose du style). L'histoire racontée par Pain a des accents policiers et il n'y comprend visiblement rien, Bolaño non plus et le lecteur encore moins. Mais ce n'est pas grave, trouvé-je encore une fois: on s'amuse quand même et on apprécie déjà les biographies inventées de fin de volume, qui annoncent peut-être « La littérature nazie... », le duo de flics ou d'espions qu'on retrouvera dans « Nocturno de Chile », les détours absurdes et le pesant sentiment de fatalité et de découragement. Ceci dit, on comprend – et, dans une certaine mesure, partage – l'agacement de certains lecteurs à cette succession de scènes insensées qui semblent n'avoir d'autre fonction que de s'assurer que livre atteigne le nombre de signes réglementaire pour être accepté au concours que Bolaño finira par gagner. Et on se dit finalement que les dites scènes sont des fragments bien plus satisfaisants qu'une bonne partie de ceux d'« Anvers ».
Avant de vous laisser pour aujourd'hui, une petite note sur la chronologie. Les amateurs de Bolaño sauront qu'elle n'est pas facile à établir, puisque pas mal de textes ont été publiés bien après leur écriture. « Anvers », par exemple a été écrit en 1980 (et peut-être révisé ensuite) pour ne paraître qu'en 2002. « Monsieur Pain », publié en 1999, date, selon la note préliminaire, de 1981 ou 1982. Dans sa note en ouverture de « La piste de glace », Robert Amutio, le traducteur de Bolaño, explique que le roman a été écrit « au début des années 1980 », tout comme « Consejo de un discipulo de Morrison a un fanatico de Joyce », roman à quatre mains écrits avec Antoni Garcia Porta qui, quant à lui, déclare dans sa préface que le projet fut lancé en 1979, repris avec Bolaño en 1981 et terminé en 1983. Et ce sont là le seules informations disponibles: à première vue, je n'ai rien pu trouver dans les autres textes de l'auteur ni dans le volume critique qui lui a été consacré chez Candaya. Doit-on donc considérer qu'à l'exception des titres cités, le reste a paru plus ou moins dans l'ordre chronologique (ce n'est probablement pas le cas des nouvelles et des poésies, mais ne nous compliquons pas la tâche...)? Dans ce cas, que fait Bolaño entre 1983 et 1996 (date de parution de « La littérature nazie en Amérique »)? Ecrire des poésies et des nouvelles, participer à des concours, mais encore? Sans réponse fiable, on est obligé de faire avec ce qu'on a. Ce n'est bien sûr pas grave, mais la question m'intéresse. Et si un lecteur fidèle ou de passage a plus d'informations sur ces points-là, je serais très heureux d'en prendre connaissance...

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