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Bolaño: sur une piste ténue

Publié le 20 mai 2009 par François Monti
A peine lancé dans une relecture de Bolaño, voilà que je retombe dans la simple lecture: avec « Una novelita lumpen » et la plupart de sa poésie, « La piste de glace » est un de ses rares textes que je ne connaissais pas encore. Jusqu'à cette semaine. On en parle rarement, de cette « Piste de glace ». Pourtant, c'est vraiment un très beau roman. Excellent, peut-être pas. Mais très beau. Et, finalement, qu'importe l'excellence pourvu qu'on ait la beauté?
En lisant ce livre dans la foulée de ma relecture d' « Anvers » et de « Monsieur Pain », une question s'est imposée: à quel point ce roman, apparemment écrit à la même époque, a été retravaillé pour sa publication en 1993? On ne va pas prétendre qu'on ne dirait pas le même auteur, puisque l'on sait déjà qu'on retrouve dans les deux titres pas mal des thèmes, des particularités et des modes opératoires de Bolaño, mais la différence frappe, tout particulièrement avec « Monsieur Pain », meilleur point de comparaison -- « Anvers » étant par trop fragmentaire, plus proche d'une prétention poétique.
Tout d'abord, Bolaño semble, cette fois-ci, savoir où il va, que ce soit en ce qui concerne le prétexte de l'histoire, le destin de ses personnages ou le type de narration qu'il choisit. L'assemblage est beaucoup moins dû au hasard. Au niveau de l'écriture également, tout paraît plus assuré, même si les voix des trois narrateurs ne se distinguent que par ce qu'ils disent ou par leur ton, plutôt que par leur style. Techniquement, si on voulait tenter d'établir un vague lien, la structure à narrateurs multiples pourraient faire penser à la deuxième partie des « Détectives sauvages » bien qu'ici un été soit observé au lieu des pérégrinations d'un duo, ce qui change bien sûr pas mal de choses. Thématiquement, c'est sans doute un lien plus fort et plus concret qui nous unit à la même partie des mêmes détectives (comme si c'en était un brouillon ou plutôt une version préalable), puisque Bolaño y manipule une époque et des éléments biographiques qu'il remettra en scène dans la vie de Arturo Belano de façon plus romantique. Parce qu'ici, pas de romantisme ni de célébration d'une jeunesse folle: le portrait est plutôt terre-à-terre et les trois acteurs principaux sont trop différents pour que Bolaño s'adonne au même type de jeu automystificoglorifiant qu'il pratiquera dans « Les détectives sauvages ». D'une manière plus large, on retrouve bien sûr ici une certaine fascination pour la mort, la violence et surtout la folie, ainsi que les figures de l'exil qui peuplent son oeuvre, que ce soit celui qui nous emmène à des milliers de kilomètres de ce qui toute une vie fut un domicile, à une grande-distance de la vocation que l'on croyait être celle de notre vie, à des lieux et des lieux de ce que l'on pensait être notre personnalité ou encore à trois bouteilles ou trois nuits sous un pont de trop, ce qui cause ainsi le basculement dans une quasi-démence.
Je suis bien sûr très heureux de voir ici les germes de ce qui suivra, mais tout ça importe finalement très peu une fois qu'on est face à l'image centrale du livre: une jeune femme superbe en train de s'entraîner sur une piste de glace installée dans un palais moderniste en ruine sur les ordres d'un fonctionnaire municipale au bord du précipice; il la regarde, l'encourage; ils sont observés en secret par une autre jeune femme, sans doute à moitié folle, munie d'un couteau effilée; un poète mexicain en séjour illégal la dévore des yeux espionnant les deux autres occupés l'une à se perdre dans son sport, l'autre dans la contemplation de celle qu'il aime. Tout est là, dans ce triangle tout sauf équilatéral. Ce n'est pas un roman policier, l'intrigue n'est pas politique, c'est un roman d'amour et d'illusions, sur l'infinie capacité de l'être humain à se berner soi-même. Et c'est magnifique.
Je terminerai rapidement cette brève note de lecture avec une considération sur ce que je rappelle être le but « officiel » (c'est-à-dire surtout l'excuse) de ce processus de relecture: le projet d'écriture d'un papier sur la gauche chez Bolaño. Comme je le disais dans ma première note « relecture », je sais que les passages pertinents seront difficiles à trouver. J'espère en fait trouver une espèce de portrait en creux. Dans « La piste de glace », pas grand chose sauf à prendre en compte l'affiliation politique de Enric Rosquelles, le fonctionnaire municipal qui détourne des ressources publiques pour construire la patinoire. Il est socialiste, ou plutôt encarté au parti socialiste ouvrier espagnol. Bien qu'il est pratiquement certain qu'une bonne partie du monde littéraire aurait fait de cet homme le membre d'un parti de droite (j'entendais d'ailleurs encore dire ce matin à la TVE que la gauche était plus rapide à se distancer de la corruption, ce qui fera rire tout lecteur belge), on ne peut pas prétendre qu'il s'agit là d'un exemple de l'opinion de l'auteur sur la gauche, corrompue. Bien que beaucoup de trotskistes se sont reconvertis en militants sociaux-démocrates, Bolaño ne semble être de ceux-là: il pencherait plutôt du côté d'une désillusion envers le politique, et le choix du parti concerné n'indique rien, n'a aucune implication sur le roman. On dira tout au plus qu'il fait montre d'un certain mépris envers les pratiques inévitables dans toutes particraties – de quelque bord que ce soit. On ira donc voir ailleurs, d'autant plus que le but n'est pas de savoir si Bolaño était plutôt de gauche ou plutôt de droite (comme si on ne le savait pas) mais bien d'examiner comment il représente (quelle) gauche et les impacts que cette représentation aurait sur le sens (?) de son oeuvre.

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