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Le bouton

Publié le 16 juin 2008 par Caillerez
Le bouton. Rien que ce fichu bouton d’ascenseur et pas d’escalier visible dans cet immeuble d’une modernité dépassée. Question de sécurité selon eux, pour ne pas laisser entrer d’indésirables. Les escaliers ne servent que lorsqu’un incendie se déclare ou une situation d’urgence arrive m’a signifié le gardien. Alors l’escalier est bloqué, et pas d’autre alternative que l’ascenseur. Pas d’autre choix. Il faut que je m’y fasse. Mais voilà, j’ai du mal à m’y faire. Il faut vraiment que ce rendez-vous professionnel soit capital pour mon avenir, sinon, ne serait-ce qu’à la vue de cette infâme protubérance rouge qui s’éclaire quand on appuie dessus, je fuirais à cœur perdu. Bon allez, reprends toi, tu as fait le plus dur. Tu as appuyé sur le bouton. L’ascenseur arrive. Il n’y en a que pour trois étages après tout. J’en ai vu d’autre !

Ah je ne sais pas pourquoi, mais je le sens mal cet ascenseur. J’ai déjà une sensation d’enfermement rien qu’en l’attendant. Dans cet espace fonctionnel gris et terne, qui remplit son office d’espace fonctionnel de petit hall d’attente pour ascenseur sans fenêtre, je ne vois que cette façade métallique grise qu’égaye cette fade lueur rougeâtre ; et une flèche qui m’annonce que mon appel est bien enregistré et que la machine infernale se dirige inéluctablement vers moi. Je me sens mal alors que les portes de cette cage à tortures ne sont pas encore ouvertes. Ressaisis toi mon gars, tu ne dois pas foirer ce rendez-vous. Tu n’auras pas deux occasions pareilles, fais bonne figure !

 Ca y est, le monstre m’offre sa gueule béante. Bon, courage, j’y vais. Comme à l’abattoir. Je n’aime pas être seul dans cet engin, et là, en plus, trône un grand miroir. Je ne peux même pas échapper à ma mine déconfite. Seul avec moi-même, ça fait trop de monde dans ces circonstances. Pas d’échappatoire, vas-y, appuie sur le trois ! C’est juste deux minutes de souffrance et ciao ! Le calvaire sera derrière toi ! Pense plutôt à ce que vas te rapporter ton rencard.

 Les portes se referment. Le voyage de l’angoisse commence, sans attacher sa ceinture. Je tourne le dos à la glace. Je n’arrive pas à me regarder tellement je me décompose à vue d’œil. Et puis il fait une chaleur d’enfer dans cette prison mouvante. Je sens une goutte de sueur froide qui traverse mon épine dorsale, bien lentement, et, dans le même temps, je rougis de honte, de chaleur ou de peur… je ne sais pas…

 Pourquoi je n’arrive pas à déglutir, c’est pire que l’avion. Il y a un problème d’aération dans l’ascenseur ? L’air conditionné est-il vicié ? Je vais suffoquer. Je ne peux ôter ma cravate, j’ai trop mis de temps pour faire le nœud. Je ne peux pas non plus déboutonner mon col de chemise, je vais arriver tout chiffonné à mon entretien. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui manque.

 Ce n’est pas vrai, je ne suis pas encore arrivé au premier étage ? Je ne ressens aucun mouvement, je suis bien parti au moins ? Je suis oppressé. Merde, il bouge ou pas ce tas de ferraille !

 Ah si, premier étage passé. Le tiers du cauchemar s’évanouit, et moi sous peu si ça continue.

 Certains ascenseurs, comme certaines personnes, me sont antipathiques dès le premier regard. Celui-là, il est champion du monde, de l’univers et de sa banlieue.

 Ca y est, je transpire désormais à grosses gouttes. Je risque un œil vers le miroir. Spectacle de désolation, j’apparais comme rouge carmin. Et la lumière blafarde du néon ne m’avantage pas… quel effet terrifiant… c’est moi cette loque rougeaude et moite ? Je ne me sens pas bien du tout. Je vais appeler la sécurité, oui, c’est une bonne idée. J’ai envie d’exploser, de m’arracher mes vêtements… j’étouffe… à l’aide !

 Deuxième étage. Ah la porte s’ouvre. Enfin. Un peu d’air frais, même conditionné, investit mon lieu de tourment. J’ai envie d’être chez moi, de siroter un café en terrasse, d’espace, de liberté !

 L’horreur. Une femme monte. Son parfum envahit la cabine. Si je n’aime pas être seul dans ces engins, j’aime encore moins être accompagné. Elle me regarde bizarrement. Je dois donner l’impression d’un fou évadé d’un quelconque asile. Je me sens prisonnier d’un étau sans savoir où me tourner. Ni face à mon reflet dépité, ni face à elle. Je vais m’arracher les cheveux… je me liquéfie, je coule… Je vois ma vie professionnelle s’enfoncer dans les abysses à cause de trois malheureux étages et d’une saloperie d’élévateur. En sortant, j’aurai l’air d’un zombie. Comment passer pour un jeune cadre dynamique motivé dans ces conditions ?

 Cruel. Je me sens mourir à petit feu. Ma vie… NON ! Arrête, tu ne vas pas crever comme ça en face de cette blonde. Courage, regarde toi : les cheveux affolés, les yeux hagards, la sueur qui te dégouline de partout…Un vrai cinglé ! Elle doit me croire barge, déjà moi, je me le demande…

 C’est infernal, ce trajet me semble long, interminable, je vais me retrouver sur la lune. Je n’ose regarder la femme tellement je me fais peur. Et son parfum… il me donne la nausée. Pourtant, il est plutôt discret et de bon goût, mais rien ne passe. Je vais y passer moi, je suis compressé dans ce monte-charge à la noix.

 Quel choc ! La machine infernale s’arrête. Vite, dehors ! Je bouscule la blonde dès que les portes entament leur ouverture. Je me précipite vers la liberté, l’espace. Je m’éjecte de ce cercueil, haletant, ébouriffé, ivre de panique.

 L’urgence : des toilettes. Je dois absolument reprendre forme humaine, récupérer. Je reviens d’un marathon de l’horreur couru sur les mains ! Ah, au moins les toilettes sont indiquées.

 Quel bonheur ! Je suis courbaturé, lessivé mais heureux d’être sorti du clapier confiné, fini le sentiment de l’enterré vivant. Bon maintenant, chose sérieuse. Mon avenir professionnel est en joue, feu ! Après trois litres d’eau fraîche passé sur mon visage, un coup de peigne, je reprends mon souffle, tranquillement. Mieux vaut un petit retard et apparaître frais et vif comme un gardon, plutôt que ponctuel avec une gueule de fantôme défraîchi.

 Autre épreuve, mais légère cette fois-ci : trouver le bureau 313 dans ce défilement grisâtre de portes identiques sans âme qui vive dans des couloirs éclairés là aussi par des néons anonymes.

 Voilà, je l’ai ! Allez, on respire un bon coup et énergie, dynamisme, motivation, sourire carnassier, le cadre idéal entre en lice, ça va faire mal. Je suis prêt à bouffer le monde. J’entre. Bureau classique, gris, néon, plante verte, photos de familles, post-it, ordinateur, téléphone, siège et être humain plutôt bien foutu dessus. Bonjour mademoiselle, j’ai rendez-vous avec blabla, formalités d’usage. Je suis en fait à l’heure, sûr de moi… je le sens ce job ! Il est fait pour moi à en croire l’annonce.

 Quel con, mais quel con ! Je me suis trompé de jour ! C’est demain. Merde et merde et remerde, je vais devoir me retaper cette saloperie d’ascenseur pour descendre. Et rebelote demain. En fait, j’en suis persuadé, il est naze ce boulot !


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