Tressautement, promiscuité, gêne, fatigue, bruit... un livre ouvert dans une main, l'autre enserrant une barre métallique usée par des milliers de paumes, je voyageais en pays RER.
- Vous n'avez rien à me dire!
La voix forte et agressive me fit sursauter. Elle appartenait à un homme de grande taille, de forte corpulence, son double ventre dépassait de son veston en stéréo avec le double menton débordant de son col de chemise. Son regard noir l'était tout autant que ses cheveux lissés de gel gluant offrant une brillance graisseuse. Il s'adressait à une toute petite dame qui lui répondait si faiblement que je n'entendais qu'un murmure incompréhensible laissant à peine paraître un accent assez prononcé. L'homme lui répondit à nouveau sur le même ton:
- Vous n'êtes pas d'ici!
Nouveau murmure inaudible. Je percevais néanmoins la difficulté d'expression de la femme. Je ne connaîtrais jamais le contenu de ses paroles mais je le devine.
La voix masculine de plus en plus forte contrastait avec celle de la femme qui, malgré la manière méprisante dont elle était interpellée avait apparemment du répondant.
Il renchérit:
- Non! Je fais ce que je veux...
Je tendis l'oreille pour satisfaire ma curiosité d'observatrice privilégiée, en vain! Seule la voix de l'homme était perceptible, sa colère s'assombrissait et le ton de sa voix s'engagea alors dans le registre de l'humiliation.
- La ferme! Il faudrait apprendre à parler…
- Pardon?
Cette fois-ci, je compris le mot de la femme franchement indignée à présent
- J'ai dit: la ferme! Répéta-t-il en hurlant, je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous.
L'agressivité virulente de cet homme était-elle justifiée? La peau noire de cette femme serait-elle la cause du mépris de l'homme en costume cravate. Son visage hautain laissait paraître des yeux globuleux et hargneux. Ses cheveux gominés tirés en arrière lui donnaient un look mafieux peu rassurant. Il serrait nerveusement contre lui une serviette de cuir noir. De plus en plus agacé, il tournait sur lui-même en bousculant la petite femme. Cessant d'écouter ses sarcasmes et son mépris, elle refusa de lui donner la réplique dans cette mauvaise pièce et lui tourna le dos.
Le train stationna quelques secondes supplémentaires. Il s'agitait, râlait, marmonnant dans sa barbe:
- Ah qu'est ce qu'ils foutent?
La rame resta malheureusement sourde à sa question et s'évertua à rester immobile. Il s'agitait de plus en plus, soupirant, secouant la tête.
- Ah! C'est pas vrai, tout ça pour me faire chier!
L'arrêt de la rame serait-elle une atteinte personnelle! Je l'appellerai plutôt une récurrence.
L'attente s'éternisait, la chaleur provoquée par le stress grimpa de quelques degrés. Quant à lui, il bouillait intérieurement, son front s'illuminait de perles de sueur. Je craignais qu'il n'explose.
Un assistant de quai, compatissant ouvrit une des fenêtres du wagon pour aérer, et alléger l'atmosphère chaude, moite et pesante du wagon. Geste sympathique, il faut en convenir.
Quelle ne fut pas sa déception, après ce geste altruiste, de se faire insulter par notre homme.
- Non mais tu vas la fermer cette putain de porte!
Détail visuel à préciser: ce jeune homme avait la peau basanée…
L'attente se poursuivit...
- Ah je ne vais pas y arriver!! S'exclama-t-il une lueur inquiétante au fond des yeux
J'avais grande hâte que le train reparte, que cet hystérique disparaisse de mon environnement, il était carrément flippant!
Tenace, il poursuivait confusément son soliloque, fusillant la petite femme du regard puis le jeune homme sur le quai.
La sonnerie libératoire du verrouillage des portes retentit enfin et ralentit alors son tempétueux débit jusqu'à la station suivante où il descendit au grand bonheur de tous les passagers.
L'atmosphère opaque et l'ambiance tendue s'éventèrent enfin sous le souffle libérateur des courants d'air de la station.
La rame m'emportait à nouveau vers ma destination dévoilant dans mon esprit une question existentielle:
Sommes-nous encore au temps d'un racisme primaire baigné de mépris et d'agressivité?