Katherine
Pancol dit qu'on aime comme notre mère nous a aimé. Moi la mienne, elle a du trop m'aimer, elle a du trop me donner, comme ça, sans retenue ni barrière, elle a du laisser son amour déferler
pendant des années pour avoir fait de moi ce que je suis.
Aujourd'hui j'ai compris. Ronde et épaisse, dégoulinante d'amour et de naïveté, je suis un baba au rhum, un
paris-brest, une religieuse. Un truc qui vous écoeure rien qu'à le regarder. Les hommes me regardent (quand ils me regardent), ils sont souvent attirés par ces choses contre lesquelles ils
aimeraient se coller mais lorsqu'ils voient l'ensemble, ils savent qu'ils ne vont pas pouvoir finir leur assiette. Que leur petite cuillère va rester en suspend, au-dessus de cette pâtisserie
trop sucrée et trop grasse. C'est trop pour eux, c'est trop pour tout le monde. Trop de mollesse ! Il faudrait que je m'injecte du ciment en intraveineuse, que je devienne dure, blindée, solide,
que j'arrête de rêver ma vie, de marcher dans mes songes, de m'imaginer que l'honnêteté et la gentillesse mène quelque part. C'est faux, les gentils ne réussissent rien. Prenez les 50 personnes
de cette Terre qui ont le mieux réussi, pensez-vous un quart de seconde que ce soient des gentils ? Je vais vous dire où ils sont les gentils, ils sont planqués derrière des murs qu'ils ont fini
par monter, les mains vides de s'être tout fait prendre, le coeur au bord des lèvres de n'avoir rien compris à la vie.
Je n'ai aucun code, je n'ai aucune stratégie. J'ai une amie qui mène les hommes à la baguette. Pire que ça, ils
lui mangent dans la main, ils sont fous amoureux, prêts à lui décrocher la lune, les étoiles qui vont avec et lui promettre mariage, enfants et richesse pour un simple regard d'elle. Je lui dis
souvent, mais que leur fais-tu ? Quel langage as-tu appris, quelle technique utilises-tu ? Elle ne leur fait rien justement, elle les méprise, les ignore, les rejette. Elle ne daigne même pas
leur adresser la parole, elle les traite comme des chiens et ils en redemandent.
Moi non. Moi quand je souris, je souris. Quand je dis oui, je dis oui. Et puis je donne, je donne, je donne. Mon
coeur, mon corps, mon âme, mon temps, mes blessures et mes forces. J'ai passé ma vie à me faire piller par les hommes, à laisser exploiter mon coeur et mes sentiments comme s'ils n'avaient rien
d'uniques, rien de précieux. Je ne sais pas mentir, tricher, jouer, faire attendre ou monter des plans. Moi je suis une, entière, un gros mille-feuilles en quelque sorte, un de ces gâteaux
recouverts de crème qui vous donnent la nausée rien qu'à les regarder.
Un jour, je me suis promise qu'on ne me traiterait plus comme ça, un jour où l'on m'avait traîné trop bas, trop
foulée au pied, trop piétinée. On avait lentement mais méthodiquement écraser mon coeur et mon amour-propre en me faisant croire que je ne valais rien, que je n'étais rien.
J'ai une âme d'esclave, de soumise, de pute peut-être. Une mendiante de l'amour, une chercheuse d'émotions. Ca
lasse. Ca lasse très vite. Je suis même étonnée d'avoir eu tant d'hommes d'ailleurs, la méprise du premier sourire peut-être. Alors si l'un d'entre ceux qui m'ignorent m'accordent de l'attention,
je lui voue alors une reconnaissance sans borne, comme un chien qui lèche la main de celui qui le nourrit. Sans me demander si vraiment, moi, oui moi, sincèrement, je veux ce genre
d'homme.
Je me les invente mes hommes parfaits, je les pare de mille atours et de mille qualités. C'est pour cela que je
préfère ne pas les connaître, c'est pour cela que je les aime de loin, éperdument, totalement. Et puis je m'en rapproche et plus ils me déçoivent, leur image s'étiolant et mes rêves devenant fine
poussière de sable dispersée aux quatre vents.