Magazine Talents

Terre [4]

Publié le 26 mai 2009 par Didier54 @Partages
[Le premier épisode est là]
[Le second est ici]
[Le troisième est là]

Terre [4]Ca sera déjà super, s'était-elle exclamée. J'admirais sa ténacité, vraiment. Peut-être même que je la lui enviais. Je m'étais retiré tellement loin. Ou alors c'est sa solitude, que je percevais aisément, qui lui faisait battre des mains à tout rompre à la moindre de mes phrases, je ne sais pas.
C'est vrai que dans son flot, elle n'avait guère évoqué sa vie personnelle, j'avais l'impression qu'elle l'avait plutôt soigneusement recroquevillée. Ça devait l'arranger que je ne sois pas plus interrogatif que ça. Je m'en tînt là.
Mille fois dans le train je m'étais maudit. Mille fois dans le train je m'étais décidé à quitter le wagon à la prochaine gare. Mille fois je ne le fis pas. Mille fois je trouvai tout cela idiot en même temps qu'une force semblait cette fois m'animer. Ca faisait longtemps et si je ne m'étais pas surveillé de près, comme on porte sa croix en se disant que tout va bien, on la porte, sûrement que je me serais supris à chantonner, ou à tapoter des mains sur le rebord de la fenêtre.
Une petite fille s'était approchée de moi et m'avait longuement regardé et puis elle était partie. Je ne sus si son absence d'expression était son attitude habituelle ou si par effet de miroir elle recopiait instinctivement ce que mon propre visage dégageait. Je plongeai le menton dans mon cou.
De ma ville actuelle à celle de Sylvie, ville qui fut naguère la mienne mais où je n'étais encore jamais retourné faute d'envie et de raison, enfin plutôt, du fait de trop de raisons, il n'y avait de toutes façons aucune étape. Actionner le freinage d'urgence eut été dans mes cordes, au moins dans l'intention, mais la force des actes était cette fois la plus forte. Elle massacrait tout sur son passage et j'en étais tout étonné moi-même. Je me prenais à imaginer que pendant toutes ces années, j'avais en réalité stocké de l'énergie et au moment où les bras m'en tombaient, elle était là, cette énergie.
De toutes façons, c'est précisément pour cette absence d'étape que j'avais choisi ce train-là. Plus cher, mais plus sûr : pas de marche arrière possible. Voit-on des trains rebrousser chemin ?
Le médecin avait opiné du chef. C'est bien, avait-il semblé dire.
Autour de moi, dans le compartiment, insensibles à la très grande vitesse et à mes interrogations, des gens lisaient. D'autres somnolaient. Une maman essayait tant bien que mal de contenir ses enfants mais elle ne contenait rien, en fait. Son sourire semblait désolé. L'euphorie des enfants était palpable.
Je l'imaginais, cette femme, divorcée, ou quelque chose de ce goût-là. Elle avait l'air fatiguée, portait des rides comme on affiche des phrases qui ne disent pas leur nom, et semblait épuisée même, autant le dire tout net, de ces fatigues que portent les femmes et les hommes dont le destin s'est coupé en deux à un moment de leur vie et ils assurent, vaille que vaille, jour après jour. Elle avait dû être belle, cette femme. Gentille, ça s'est sûr. Mais c'était avant. Joli bouquet fâné. Je nous trouvais de la ressemblance, finalement. J'esquissai un sourire mais ses yeux vides ne me répondirent pas. Tout cela était sans commune mesure.
Sylvie continuait à dire de la terre, de la terre et je sursautai.
Mon réveil venait de sonner. Mon portable, plutôt. Je l'avais mis en mode réveil, pour être sûr de ne pas louper le train du retour. Que j'avais de moins en moins l'intention de prendre. Je le sentais. Plus le réveil sonnait, plus je songeais que je ne le prendrais pas ce train, plus j'étais certain que Sylvie n'allait pas me lâcher comme ça.C'est moi qui songeait à m'agripper à elle, en vérité.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Didier54 35 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine