Mon frère a fait sa crise de la cinquantaine et pour changer, il a fallu qu’il fasse les choses différemment. Il aurait pu changer de métier, prendre une maîtresse, quitter sa femme, se faire un lifting, bref, réagir comme certains de nos amis mais non ! Il faut dire que mon frère n’est pas un homme ordinaire, toute sa vie il a cherché à sortir du cadre alors que moi, je restais dans mes rails. Nous sommes issus du même moule mais souvent je me demande si ma mère n’en a pas fait un avec le laitier, l’autre avec le postier, ce qui expliquerait nos différences. Autant je suis maigre, les cheveux blonds raides, le nez à la Cléopâtre, stressée et pressée, autant lui est rond, brun, cheveux bouclés, nez aplati et toujours jovial, à faire la fête et boire plus que de raison. Stéréotypes pensez-vous ? Oui, sûrement car sinon comment expliquer l’inexplicable ?
Sa crise a commencé de façon insidieuse et même sa compagne n’y a rien vu au début. Une Harley Davidson a toujours été son rêve nous avait-il expliqué, en effet, sillonner les routes accompagné du sourd roulement de tambour de son moteur à deux cylindres était un plaisir que seuls des connaisseurs pouvaient apprécier. Bon, nous avions classé cet engouement sur le compte d’une lubie avec l’idée que tout rentrerait dans l’ordre au début de l’hiver. Que nenni ! Sa machine bien en main (il faut semble-t-il un certain apprentissage pour manier cet engin) il nous a annoncé qu’il allait partir en solo à Sturgis dans le Dakota du Sud pour assister au plus grand rassemblement de motards en Harley Davidson du monde entier. Cet événement se déroulant au mois d’août, il partirait prendre le bateau à Lisbonne pour traverser ensuite les Etats-Unis d’Est en Ouest depuis New-York.
Il nous a annoncé cela hier, alors que nous étions tous réunis pour l’anniversaire de mon fils Julien, accessoirement son filleul. Seul le tic-tac de la pendule a répondu à cette annonce saugrenue. Pétrifiés, nous sommes restés de longues minutes sans réagir avant que Julien bondisse de joie et lui demande s’il pouvait l’accompagner.
- Il n’en est pas question, ai-je rapidement réagi.
Puis me tournant vers lui, j’ai poursuivi.
- Et ta famille, ton travail, Maude, tes enfants ?