C'est aujourd'hui que s'ouvre le procès de l'écrivain turc Nedim Gürsel, poursuivi pour "dénigrement de valeurs religieuses" dans son roman Les Filles d'Allah.
Étonnant, non, pour un pays que la Constitution présente comme une République laïque?
Cette fameuse laïcité turque, dont tous se saisissent pour justifier une possible adhésion de ce pays en Europe, qu'en est-il vraiment?
On encense Atatürk pour son effort décisif en la matière. Je dis "effort", car c'en fut un: faire de la Turquie un pays laïque résultait plus d'une stratégie géopolitique que d'une réflexion éclairée sur la religion. Enacceptant les valeurs des rivaux Occidentaux, Mustafa Kemal évitait à son pays toute domination, voire colonisation occidentale.
Ce fut donc une laïcité imposée qui se mit en place, et non le fruit de la volonté du peuple. Ainsi, un sondage paru en 2004 dans le Wall Street Journal révélait que 2/3 des femmes portaient le voile. Ne nous leurrons pas: hormis une petite élite intellectuelle et économique, le reste du pays, même dans ses classes moyennes, reste partisan d'un islam conservateur.
Certes, des manifestations pro-laïques ont eu lieu, ces dernières années, mais elles sont surtout le signe qu'un mouvement politique tend vers un fort recul de la laïcité. Le succès du AKP aux dernières élections municipales de mars 2009 en est à la fois le signe et la cause.
D'ailleurs, qu'entendre par "laïcité", en Turquie? Le terme ne signifie pas, comme en France, la stricte séparation de l'Eglise et de l'Etat. Si l'Etat n'est pas soumis à "l'Eglise", ce n'est que pour mieux la contrôler. En d'autres termes, une relation de dépendance existe toujours. Rappelons que "la Direction des Affaires religieuses est placée sous l'autorité du Premier Ministre qui nomme ou destitue les imams et muezzins, après avoir surveillé leur formation dans les écoles de prédicateurs". Et toute cette procédure ne semble pas aller dans le sens d'un "islam des Lumières"...
Encore une fois, la question de la laïcité turque soulevée sur le plan européen, pose celle du contenant des critères technocratiques européens, et de leur légitimité.