La publicité est une activité commerciale et la publicité est un con. La publicité est un con, parce qu’elle est une activité commerciale qui a réussi à faire oublier qu’elle l’était, une activité commerciale. Elle tente de se faire passer pour une espèce de respectable et prometteuse nouvelle culture. dansl'air du temps. La publicité est un con parce que la publicité, cette nouvelle culture, est partout, tout le temps, mais surtout parce que tout le temps, la publicité n’a de cesse d’être partout ! En effet, la publicité agit sur toutes les dimensions du monde contemporain, toutes ces dimensions qui ont fait la différence avec les temps d’avant, et qui ont précisément permis de définir et ont fini par constituer plus que les caractéristiques mais l’essence même de la modernité. Il n’y a plus un média, plus un lieu d’échanges, plus un moment de culture, plus un espace de convivialité, plus un geste artistique, plus une position morale que la publicité n’ait réussi à formater ou au moins tenter de le faire. On pourrait dire aujourd’hui que la publicité agit, interagit et se comporte comme si le monde était devenu une de ses créations. La publicité s’enorgueillit de cette occupation hégémonique du terrain, pour prétendre être l’incarnation totalisante de la modernité ; ou l’inverse, ça n’a pas d’importance, cette prétendue nouvelle culture n’est pas à une inexactitude et une mauvaise foi près. En fait de modernité et de culture, la publicité est un con parce qu’elle assimile l’observation et l’analyse qu’elle fait de nos comportements dans la vie quotidienne à une compréhension totale du monde. Elle s’instaure en véritable paradigme, qu’elle prétend moderne, alors qu’en guise de système, elle n’a accès et ne régit au fond que quelques sempiternelles règles de bon sens, ne maîtrisant vraiment que quelques astuces acquises par la pratique.
La publicité est un con parce que la publicité et les publicitaires confondent l’essence et la substance du monde avec son apparence. Détectant en effet les moindres scintillements de reflets anodins, rehaussant tous les chatoiements sans importance, titillant toutes les secousses insignifiantes ou les tintamarres disgracieux, ils tentent d’y déceler la totalité des richesses insondables et secrètes d’un monde complexe, que par ailleurs ils n’ont de cesse de simplifier. Dans ces lambeaux en vrac, de ces connaissances, de ce savoir spasmodique et ténu qu’ils espèrent ériger en savoir, ils ne font que prendre les parties pour le tout, agitant des signes vides pour en faire une pensée ou au moins un discours. Ils parviennent à en tirer quelques prises de parole aux enflures hâbleuses, à la sauce anglo-saxonnes, dont ils prétendent faire office de Culture. Concrètement, en guise de culture, la publicité a astucieusement inventé le planning qu’elle voudrait stratégique. Ce « planning stratégique » consiste à « lire le monde » et à l’interpréter pour proposer des prises de position, des stratégies de développement ou de déploiement, dialectiquement en phase avec un monde qui change / qu’elle contribue à changer. En phase avec l'air du temps qu'elle dessinerait et qu'elle voudrait nous faire respirer.
La vérité, c’est qu’en fait d’une prétentieuse lecture du monde et de stratégies, Il s’agit plus prosaïquement de mettre en évidence l’angle, le point de vue inédit qui permettra de mieux choper les consommateurs. En fait, La publicité se comporte non pas en stratège mais plutôt comme un géographe qui, sur une carte Michelin, ne ferait apparaître que ce qui intéresse celui qui l’utilise : à un croyant, il ne laissera que les églises, les calvaires, à un randonneur que les chemins de traverses ou à un passionné de chemin de fer, les passages à niveau et les gares abandonnées. Sous le couvert d’enquêtes, de rapports et d’études, on dégage, (aussi au sens où l’on déblaie), ce qui obstrue la visibilité. Double objectif : dégager le Visibilité pour le créatif d’une part, qui dans ses « œuvres » doit mettre en forme les messages (avec le fameux et grandiloquent « saut créatif » plus ou moins élégant et efficace), et d’autre part pour le consommateur des marques, donner la visibilité, le bon point de vue sur les produits. Il ne s’agit donc pas de comprendre le monde mais de le vendre et de faire vendre. Ça n’est pas inévitablement et inexorablement un mal en soi, mais cet objectif semble inavouable et pour s’inventer des lettres de noblesses et s’enrichir… Il est évidemment nécessaire de manipuler le réel et ne plus voir et montrer le monde tel qu’il est mais tel qu’on voudrait qu’il soit dans un monde idéal. Et dans cette opération de manipulation,
La publicité doit continuer à faire croire, à se faire croire, qu’elle est intelligente, qu’elle sait lire et comprendre la société dans son ensemble. Elle prétend en y croyant d’ailleurs elle-même, qu’elle sait. Elle prétend en effet le comprendre, pour le prévoir et régler son dessein… Elle prétend même parfois le moraliser et participer à l’épanouissement des citoyens, à la libération des peuples. (L’installation de Mac Donald dans les ex-pays de l’Est fut prise pour le symbole emblématique de la libération du joug communiste). Dans cette noble quête d’absolu, relatif, la publicité érige les marques en témoins, de cette compréhension. Les marques comme repères, (repaires ?) et par glissements, valeurs sûres, d’un monde en plein chaos. Rien que ça. Certains prétendent même que lorsqu’il n’y aura plus rien, il nous restera, pour reconstruire un monde balayé, ces marques, leurs attributs et leurs valeurs immuables…
Des marques et leurs valeurs comme rempart au chaos, venu ou à venir !
Des marques qui activent généreusement les vertus du micro-crédit d’un côté et refusent de payer le prix du lait au bon prix de l’autre.
Des marques qui mobilisent les citoyens dans de grands élans de charity-business mais ne respectent pas les droits fondamentaux des citoyens qui contribuent à produire sa propre valeur.
Des marques qui inventent des concours de coloriage sur des bouteilles qu’elles veulent faire passer pour de la création artistique, voire ,avec beaucoup de désinvolture, pour des œuvres d’art.
Des marques qui creusent des puits dans le désert et les oublient dès qu’ils s’ensablent.
Des marques qui ne vendent pas de produits vitaux en Afrique parce qu’il n’y a personne pour payer.
Des marques et des publicitaires qui prétendent sauver la planète avec de sporadiques et médiatiques nettoyages de plage, et ce, entre deux avions et autres déplacements prolifiques en CO2, comme leurs énormes 4 x 4 qui dépassent toutes normes raisonnables.
Des marques qui expédient à prix d’or et de dépenses énergétiques et très polluantes des bouteilles d’eau « pure » dans le monde entier.
Des marques qui fabriquent encore leurs produits en exploitant des enfants sans que personne n’y trouve plus rien à redire.
Des marques qui cherchent du pétrole partout il y en a, sans se soucier de démocratie, des marques qui dé-forestent sans scrupule.
Des marques qui dénaturent même la notion d’entreprendre au profit de la notion d’enrichir.
« And so on » comme diraient avec beaucoup de cynisme désinvolte, les publicitaires.
La publicité est un con parce que pour éviter la mise en évidence de ces paradoxes, qu’elle est capable de définir comme caractéristiques de la modernité, (dans un très hypocrite « faut faire avec… Le monde est ainsi fait ! ») la publicité condamne par avance toutes réflexions prospectives. Elle refuse d’être considérée comme un simple élément, un acteur, facteur parmi d’autres, avec ses qualités et ses défauts, ses bienfaits et ses nuisances. Elle refuse tous questionnements, elle évite toutes réflexions, se considérant au-dessus de ce monde contemporain, qu’elle prétend réguler, moraliser et dans une certaine mesure re / créer alors qu’elle ne fait que le décorer, l’agiter et en quelque sorte d’animer ses trottoirs. Il est donc Impossible aujourd’hui de « critiquer » la Publicité, ses actions et interactions, ses contradictions et ses manques, ses boursouflures superflues et ses emphases maniérées, ses vulgaires outrances outrancières, ses beaux élans créatifs et même ses coups de génies, sans passer pour un irresponsable nocif et dangereux, un intello aigri et vieillot, un ringard fatigué et nuisible ou plus méprisant et plus grave, un dangereux gauchiste attardé et parasite. Et pourtant, biensur qu'il serait évidemment salutaire d’identifier ces équivoques scandaleuses, ces méprises arrangeantes et volontaires, entretenues par la publicité. La publicité est un con, parce qu’elle autoalimente avec une satisfaction insolente le débat et fourgue et refourbit ses propres arguments contradictoires. Elle s’affuble sans cesse et avec arrogance de ces alibis bon chiqués, bon genre, comme un soi disant devoir de responsabilité citoyenne, vis-à-vis d’un monde qui s’abîme. Elle se pare aussi d’un grandiloquent devoir d’informations, au nom de la démocratie qu’elle défendrait. Elle peut prétendre même être un facteur d’intégration actif !
La publicité est un con parce qu’en mélangeant tout, elle veut noyer le poisson, faire prendre des vessies pour des lanternes, faire avaler des couleuvres et casser des couilles. Non seulement elle occupe tous les terrains, mais elle les verrouille et les neutralise. Elle brouille des pistes déjà pas très claires, en refusant la complexité du monde, en prétendant le simplifier et en prenant le monde entier comme terrain de jeu et les hommes et les femmes de la planète pour des joueurs qu’il faudrait berner pour gagner.
La publicité est un con parce qu’il n’est pas certain qu’elle ait compris que pour continuer à être efficace dans sa fonction première, il est nécessaire qu’elle se penche sur la vacuité ampoulée et bruyante qu’elle provoque pour retrouver de la cohérence, dans le bon sens… De la marche.