En cette période de suspension du blog due, entre autres, aux éternels problèmes « ethniques » mauritano-mauritaniens, nous diffusons cet article qui nous semble illustrer le fameux dicton peul "so biɗɗo moƴƴii ko bi'i yimɓe fof " (un enfant paré de qualités est l’enfant de tout le monde ). Merci de ne pas envoyer de commentaires... pour le moment.
"L’homme qui nous a dit "Quand l’incendie ravage le village, l’homme de devoir se préoccupe pas de savoir à qui appartient telle maison qui brûle" ne correspondait pas à l’image que je m’en faisais. Il n’était pas habillé, il ne parlait pas, il ne réagissait pas comme un marabout de sa stature est censé le faire. Il n’était pas engoncé dans un boubou craquant, il ne pontifiait pas, il ne donnait pas de leçons...."
"Qui tue un homme assassine tous les humains ; qui crée la vie donne naissance à toute l’humanité". Ces mots, tirés d’un hadith du prophète Mohamed (PSL), furent prononcés par l’imam Bouddah Ould Bousseïry, en avril 1991, dans sa khoutba de l’Aïd el Fitr (Korité). Assis devant lui, tête basse, Maouya O. Sid’Ahmed Taya semblait absorbé par les figures mystérieuses et complexes qu’un bâton, au bout de ses doigts, dessinait sur le sable. Peut-être s’efforçait-il d’oublier que les propos de l’imam s’adressaient d’abord à lui.
Quelques jours plus tôt, un groupe de femmes avaient rendu visite à l’imam Bouddah. Veuves ou membres du Comité de solidarité, elles souhaitaient l’informer de la réalité des massacres des militaires négro-africains, et solliciter son avis sur les prescriptions de la sharia relatives à la période de viduité. A mesure que se déroulait le récit macabre du martyre de leurs fils, frères ou maris morts sous la torture, pendus ou ensevelis vivant, le corps de l’imam était secoué de spasmes et son visage baigné de larmes. Et, rendant le spectacle encore plus poignant, les sanglots des femmes, comme le répons du chœur d’une tragédie antique qui serait revenue ensanglanter le présent.
Nulle caméra n’enregistra la scène, mais qu’importe. Pour l’éternité, les larmes de l’imam Bouddah pèseront d’un poids infiniment plus lourd que la "prière" du général Ould Abdoul Aziz.
Après près d’un quart de siècle d’un imamat discret, l’histoire avait fait une brusque irruption dans la vie de Bouddah O. Bousseïry, sous les traits de quelques dirigeants du MND : Mohamed Ould Maouloud, Wane Birane, Lô Gourmo, et le regretté Mohamdy Ould Abeïdarahmane. C’était en 1987. Déchiré par les rancœurs ethniques, le pays vivait des moments de tension extrême, et les plus lucides parmi les Mauritaniens craignaient déjà que le pire soit à venir.
La visite de ces quatre hommes à l’imam était une démarche presque désespérée. Les mots par lesquels il les accueillit furent un rafraîchissement à leur cœur : "deux jeunes négro-africains et deux jeunes maures me rendant visite ; je suis comblé !". Il ne partageait pas seulement l’inquiétude de ses hôtes quant à la paix civile et leur souci de préserver l’unité nationale, vitale, à ses yeux ; il avait l’énergie débordante et l’enthousiasme juvénile. "Quand l’incendie ravage le village, l’homme de devoir se préoccupe pas de savoir à qui appartient telle maison qui brûle", leur dit-il. Et d’ajouter : "ce n’est pas moi qui vous apporte mon aide, c’est vous qui venez m’aider à remplir ma mission de musulman et d’imam, qui est d’unir et non de diviser, d’apaiser et non d’exciter. Merci d’être venus me le rappeler".
Après cette rencontre, des camarades qui m’avaient oublié se rappelèrent miraculeusement mon existence, et m’invitèrent à la première réunion tenue au domicile de l’imam. Ce fut la première fois que je le vis, et je fus, au premier abord, surpris et déçu. L’homme ne correspondait pas à l’image que je m’en faisais. Il n’était pas habillé, il ne parlait pas, il ne réagissait pas comme un marabout de sa stature est censé le faire. Il n’était pas engoncé dans un boubou craquant, il ne pontifiait pas, il ne donnait pas de leçons.
Il était vêtu d’un méchant caftan aux couleurs ternes, parsemé de tâches, il était occupé à servir zrig et thé. Et il parlait avec des mots simples. Il ne déversait pas dans nos oreilles un discours abscons, il donnait des exemples, puisés dans le concret de l’histoire de ce pays, dans la vie de ses communautés, dans leur diversité et leur unité.
Accorder ses actes à ses paroles est toujours le plus difficile. L’imam Bouddah jamais n’abandonna sa posture d’humain respectueux des droits de ses semblables, de citoyen attaché à l’unité nationale, de marabout indépendant de tout pouvoir politique.
Et s’il s’exila quelque temps en Arabie saoudite, c’était peut-être pour mieux s’y préparer à l’exil de ce monde ici-bas, en s’éloignant de notre incapacité à faire vivre en nous les qualités qui furent les siennes : la simplicité, non un artifice, mais comme le battement du cœur, et la volonté de n’être le serviteur que d’Allah Seul; le sourire du visage, non le masque de l’hypocrisie, mais le reflet de la beauté de l’âme ; le regard lumineux comme une invite à la fraternité. Et une familiarité immédiate qui jamais ne vous rabaisse, et toujours vous élève plus haut que vous même.
Bouddah Ould Bousseïry : un homme d’Islam, au sens le plus profond, le plus fécond et le plus fraternel ; un Juste. Un homme pour l’humanité.
Abdoulaye Ciré Bâ