Notules et notuscules sur les arrivages quotidiens de La Désirade, tous genres confondus…
En préambule, Louis Boudonnat situe assez exactement le type et le ton de ce recueil de chroniques, initialement parues dans les pages romaines de La Repubblica : « La Rome vagabonde de Lodoli n’appartient à aucun guide touristique : c’est une ville d’îlots de beauté et de poésie qui émergent d’un dimanche pluvieux, ou d’un après-midi ensoleillé, mais que seul un œil clairvoyant est capable de saisir. C’est une place immobile redevenue une peinture métaphysique ; une statue nichée dans une église hors des sentiers battus ; un bar où la nuit se transforme en odyssée de solitudes, d’amours et d’existences fortuites ».
Ledit bar est à visiter, plus précisément, à la toute fin de la nuit, Piazza Venezia, à l’enseigne du Castellino. Et pour des jours à musarder, ou simplement à lire ce livre ailleurs que dans la Ville éternelle, les cent curiosités citées (telle l’église lilliputienne de Largo dei Librari, jouxtant un vieux resto à terrasse où se déguste le filet de morue, à trois pas du Campo de Fiori…) constituent un parcours extrêmement plaisant, agrémenté de commentaires épatants de l’auteur, d’une belle écriture fluide et fantaisiste. En se pointant par exemple place Saint Eustache, juste à côté du Panthéon, en levant les yeux, on apercevra une tête de cerf surmontée d’une croix, dont l’auteur raconte l’histoire intéressante avant de conclure sur la triste fin du saint, cuit tout vif dans un taureau d’airain chauffé à blanc. Dire enfin qu’il y a quelque chose d’un Ramon Gomez de La Serna dans les observations et la poésie de Marco Lodoli…
Nota bene : bon exercice de lecture pour l’amateur de langue italienne : Isole ; guida vagabonda di Roma, Einaudi.
On a beaucoup parlé de Cormac Mc Carthy à propos de ses deux derniers romans, Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, mémorable plongée dans les ténèbres du Mal contemporain, et La Route, admirable fresque apocalyptique, mais Un Enfant de Dieu, datant de 1973, est resté assez méconnu, en tout cas moins en vue que la fameuse Trilogie des confins, Le gardien du verger ou Méridien de sang, alors qu’il relève sans doute de la vision la plus radicale de l’écrivain, du côté du Faulkner du Bruit et la fureur ou de Tandis que j’agonise. Le protagoniste, du nom de Lester, genre innocent monstrueux, marqué en son enfance par le suicide de son père survenu après la disparition de la mère en galante compagnie, préfigure le serial killer dont la morne répétition, en littérature ou au cinéma, n’aura que très rarement l’aura symbolique, voire théologique, de ce muet avatar de l’ange exterminateur. L’écriture de Cormac McCarthy touche ici à l’os de la réalité, avec la même âpre grâce que dans La Route ou Méridien de sang, une phrase après l’autre, un os après l’autre, un os et un clou, un pas et un coup. Relatés par un narrateur neutre rappelant l'implacable murmure d’un choryphée, le roman vibre d’humanité fruste « autour » du trou noir que constitue la présence-absence de l’enfant appliquant à sa façon la « justice divine ». Bref, c’est du haut lyrisme puritain et ça ne se lit pas sur la plage…
Le jeu de l’anagramme fut très prisé dans les cours (et les arrière-cours) aux XVIe et XVIIe siècles, qui consiste à mélanger et intervertir les lettres d’un mot ou d’une expression pour en tirer un autre mot ou une nouvelle expression. Par exemple : Arielle Dombasle – À l’ombre de l’asile. S’il n’est tenu compte ni des accents ni des expressions, le jeu n’en est pas moins délicat, voire ardu. Est-il bien sérieux de s’y livrer alors que le prolétaire se tue à l’usine tant que la ménagère en cuisine ? Cette éthique question ne semble pas avoir troublé Jacques Perry-Salkow qui, après Le Pékinois, en 2007, remet ça pour l’agrément de la mère ou foyer et de l’ouvrier. La France d’en bas goûtera sans doute, ainsi: Jean-Luc Delarue – Le jeune Dracula, ou mieux encore : Jean-pierre Foucault – Purée, la France jouit ! Ou encore : Daniela Lumbroso – Roulis à l’abdomen, et Miou-Miou – Mmm…oui…oui ! Quant à la France qui se dit d’en haut, elle appréciera non moins : La princesse Stéphanie – Hantée par les piscines, ou La madeleine de Proust – Don réel au temps idéal. La fantaisie est au rendez-vous avec La Fontaine gorillé : Le lièvre et la tortue – Le lévrier et le tatou, et le lyrisme embué d’Alain-Fournier : Le Grand Meaulnes – Le sang d’une larme. Enfin, le dernier chapitre consacré aux secreta de la Bible (on sait que la Kabbale fit grand usage de l'anagramme) n’est pas des moindres, où « Je suis le Seigneur ton Dieu » devient « Je souris et déguise l’ennui » et, top de l’esprit évaangélique, où «Aimez-vous les uns autres » donne « Tous, sans mesure, suivez le la »…