Les premières années sur le marché du travail! Quel calvaire! Les relations avec les collègues que l’on ne choisit jamais. La routine, ce démon non négociable avec lequel il faut apprendre à transiger. L’élaboration de la garde-robe de circonstance, qui comporte ces tenues structurées domptées à coup de milliers de dollars durement gagnés. Mais aussi et surtout les heures douloureuses à apprendre les rudiments de mon métier. Depuis quelque temps déjà, j’avais dépassé ces premiers chocs et en éternelle insatisfaite, je commençais à m’ennuyer. Que faire? Les aiguilles de ma montre Bulgari, vestige de mon dernier anniversaire, montraient quatre heures. Autour de moi, le calme régnait. Seule une petite radio laissée sur la table de travail de ma collègue Yvette émettait le son d’une balade en sourdine. « Vive la fonction publique! », me dis-je. Mon regard effleura les dossiers bien empilés que des collègues avaient laissés à mon attention, documents que je devrais classer le lendemain. Je secouai la tête. « Voilà pour la secrétaire de service!» Puis je déplaçai rageusement les paquets de feuilles de quelques pouces, en espérant qu’ils disparaissent. J’empoignai mon sac et me dirigeai vers l’ascenseur, tout en réajustant le son de mon téléphone cellulaire à la normale. Le miroir me rendit l’image d’une jeune femme trop maigre, à la jupe plissée et aux yeux cernés. Je devais me prendre en main! « Pourquoi ne pas appeler Luc? » L’homme d’une quarantaine d’années nous coachait, moi ainsi que plusieurs de mes amis. Nous l’avions rencontré à l’occasion d’une conférence qu’il avait présentée à l’université sur les opportunités de carrière pour les jeunes.
- Trouve-toi un autre job, pis arrête de niaiser! S’exclama-t-il avec son aplomb habituel, quand je lui exposai l’objet de mon appel.
Je souris.
Après quelques minutes de discussion intense et d’échanges qui tournaient invariablement autour du fait que je devais changer d’emploi, nous raccrochâmes. Mes pas m’avaient menée dans le stationnement de l’édifice à bureaux et je cherchai des yeux le bazou qui me servait de moyen de transport. « Merde », me dis-je en me rappelant soudain que la chose m’avait encore laissé tomber quelques jours plus tôt. Je rentrai le cou dans le col de mon manteau au tweed trop fin pour la saison et résignée marchai jusqu’à la cabine d’autobus. Mes pensées s’égarèrent à nouveau vers le sujet de ma conversation avec Luc. Comment devrais-je m’y prendre pour trouver le meilleur emploi pour moi? Devrai-je m’attacher au salaire — une augmentation ferait le plus grand bien à mon porte-monnaie un peu chétif. Ou devrais-je plutôt rechercher un milieu stimulant et plaisant? Peut-être un emploi qui proposait des opportunités d’avancement intéressantes me plairait davantage?