A l'occasion de la constitution de mon livret scolaire pour le bac, j'ai replongé dans mes archives de bulletins de notes, et un constat m'a sauté aux yeux: depuis tout ce temps, j'étais muette sans m'en rendre compte!
En effet, à travers les années, dès le CP jusqu'au collège et même en 2nde, on retrouve régulièrement le même type d'annotations: élève trop discrète, ne participe pas, pas assez de présence... Au moins, au Cned, on n'a pas ce genre de commentaires!
Je dois l'avouer, pendant longtemps j'ai ignoré jusqu'à la nature de cette "participation" qu'on me demandait avec tant d'insistance. Et quand j'ai compris, forcément, j'ai été déçue: c'est ça ce grand mystère, faudrait que je lève le doigt en sautillant et en suppliant qu'on m'interroge, pour finalement me tromper ou donner une réponse évidente? Vanité des vanités...
Et puis bon, ils étaient tellement inquiets, de si bonne volonté, que je me suis forcée un peu, histoire de les rassurer un bon coup. Erreur fatale! Plus on leur en donne et plus ils en redemandent! Et voilà qu'ils se sentaient maintenant autorisés à m'interroger directement, à me harceler et à briser mes bulles de semi-rêve (car suivre le cours, c'est bien gentil, mais quand on est multitâches comme moi, on ne s'en contente pas!)
Au collège, j'ai bien commencé à voir quel était mon problème, ma tare: je ne participais pas, non pas par timidité maladive ou par peur de l'erreur, mais simplement parce que ça ne m'intéressait pas! Et doublement, car 1) je suis une damnée individualiste qui ne voit pas l'intérêt de "faire avancer la classe", comme ils disent; et 2) les réponses me semblaient si évidentes qu'elles ne valaient pas le coup que je sorte de la bulle sus-évoquée - eh oui, déjà à l'époque, ça n'allait pas assez vite à mon goût...
Et je n'avais rien vu... Car s'il y a une race de professeurs particulièrement pendus aux lèvres de leurs chers élèves, ce sont bien ceux de langues. Logique, me direz-vous, puisque pour savoir parler anglais... il faut le parler, justement! Certes, admettons, même si personnellement, écouter les autres parler est ce qui m'a donné la maîtrise de la prononciation. Mais que l'on soit clair: on peut très bien évaluer l'oral des élèves sur des interrogations (dans ou en dehors du cours), autant pour chaque personne, ce qui assure plus d'équité...
Mais le problème, c'est le sujet sur lequel on doit parler. "Where is Brian" nous dit Gad*, et c'est ça, dans les grandes lignes (les miens s'appelaient Dave et Vanessa). En espagnol, qu'on commence en 4ème, on doit estimer qu'on est plus "murs" puisqu'on nous fait étudier textes et images hautement symboliques, qu'il faut détailler en long en large et en travers, décrivant le moindre brin d'herbe sur la photo, la moindre virgule dans l'article de presse. Et de préférence dans des phrases à rallonge qui tournent autour du pot sans rien vouloir dire, en étalant toutes les belles structures grammaticales qu'on n'a pas du tout comprises. Forcément, à ce jeu-là, j'étais dépassée...
Ce qui m'énervait (et m'énerverait probablement encore si j'y étais confrontée), c'étaient les profs qui comptaient sur les élèves pour faire avancer leur cours, qui trouvaient normal que moi l'intello, je fasse partager ma science aux masses scolaires, même si les masses n'en avaient le plus souvent pas grand-chose à faire. Alors que c'est le boulot des profs, d'enseigner.
Et puis quand par hasard j'avais quelque chose à dire, il arrivait que ce ne soit pas ce qu'ils attendaient, que ce soit une perspective à laquelle ils n'avaient pas pensé, qui ne les intéressait pas pour leur leçon toute préparée, leurs idées toutes faites. Alors franchement, à quoi bon?
Parfois je faisais de la résistance, j'attendais qu'on m'interroge pour parler, point. Parfois au contraire, je me forçais à lever la main deux ou trois fois dans le cours, et même à avoir l'air enthousiaste. Et puis, la majorité du temps, je n'y pensais simplement pas, je suivais dans mon coin sans chercher à en placer une. Parce que déjà toute petite, je n'avais pas besoin du dialogue avec les profs pour faire avancer ma réflexion, je faisais ça très bien toute seule ou à la maison. Je crois que je devais déjà sniffer le discours trop "normé", trop politiquement ou du moins socialement correct...
Alors voilà mon petit coup de gueule contre les enseignants, trop nombreux, qui ne veulent pas laisser à chaque élève son individualité, et son droit au silence, et même - oserai-je aller jusque-là? - au rêve! Les plus silencieux ne sont pas forcément les plus bêtes, ni les plus timides ou névrosés! Stop à la dictature du bruit, arrêtons de croire qu'un élève n'existe ou ne "sait" que s'il se fait remarquer de façon sonore...
texte de MOI - le 29-05-09