Ils étaient ensemble, sur cette banquette de métro comme dans la vie, alors j'ai enfreint la loi de l'interdiction de
la diagonale (la loi qui me prescrit de ne photographier que les personnes en face), pour les garder ensemble. D'autant que c'est important, pour eux, du moins ce fut mon impression, de
garder ensemble les êtres qui comptent. La bague main droite d'ELLE , est le sertissage d'un diamant de famille dans une bague dessinée par LUI. La bague main gauche est une bague recomposée à
partir de la fusion de plusieurs bijoux familiaux. ELLE m'a dit que cela s'appelait un meltdown, j'ai appris aujourd'hui qu'on employait aussi ce mot pour parler de la fusion dans un réacteur
nucléaire. Et aussi pour parler d'un désastre. Un meltdown contre un autre, en somme. Se fondre ensemble pour lutter contre le désastre de la disparition. ELLE m'a montré cette bague en me disant
: "ils sont tous là".
De ces mains, ELLE m'a dit que l'arthrite s'en était emparée, lui déformant, sans douleur, mais de façon irrémédiable,
les doigts. LUI a dit en plaisantant que c'était une bonne manière de déléguer à l'autre toutes les tâches difficiles. ELLE a ri et dit : "si seulement c'était vrai!". Pas d'erreur : c'est un
vrai couple.
Quant à LUI, ses mains sont incontestablement fortes et musclées : il est batteur de jazz, et le maniement des baguettes, depuis si longtemps, lui a façonné des doigts très massifs. J'ai repensé
au très jeune batteur de rock rencontré il y a quelques semaines, aux mains encore si fines. J'ai pensé au temps qui nous
donne notre forme, dans un meltdown que le seul sertissage de nos actes peut sauver du désastre.