“ Le bonheur est un ange au visage grave” (Amedeo Modigliani, mai 1913)
Après le musée Thyssen de Madrid en 2008, c’est cette fois la Kunsthalle de Bonn qui présente jusqu’au 30 août une rétrospective Modigliani qui comprendra une centaine d’oeuvres, peintures bien sûr, mais également dessins et sculptures.
L’occasion pour Ici Palabre de se pencher sur un aspect plutôt méconnu du travail de cet artiste dont la courte vie ne lui a guère donné l’occasion d’une promenade en Afrique, alors que certaines de ses oeuvres, de l’avis des spécialistes, semblent clairement influencées par l’art africain.
On raconte que Modigliani, un mauvais soir d’automne en 1909, aurait précipité quelques unes de ses sculptures dans le Fosso Reale, cours d’eau qui traverse la ville de Livourne en Italie.
Pourquoi ? Les hypothèses sont nombreuses.
C’est cette année-là en effet que Modigliani décide de se consacrer à la taille et au dessin, abandonnant la peinture jusqu’en 1914. Il aurait pu s’agir donc, des premières oeuvres sculptées d’un artiste insatisfait et qui, aujourd’hui mondialement célèbre pour ses nus et ses portraits, ne supportait sans doute pas la médiocrité. Soixante-quinze ans plus tard, convaincue de la véracité de cette légende, la conservatrice du musée d’art moderne de Livourne commande un dragage en règles du canal et retrouve, Ô miracle, trois têtes sculptées “sauvées des eaux”.
Mais, une fois digérée cette anecdote célèbre, on ne saurait rester insensible à la sculpture “authentique” de Modigliani ni à sa relation à l’art nègre. Car c’est en effet dans cet art nouvellement découvert et décodé par de célèbres théoriciens et critiques comme Carl Einstein que l’artiste italien, disparu prématurément à l’âge de 35 ans, va désormais puiser son inspiration, sous l’influence de Picasso et Matisse, découvrant sans doute au contact des cercles cubistes parisiens, le nouveau langage esthétique qui caractérisera l’ensemble des oeuvres qu’il réalise jusqu’à sa mort en 1920.
Sculpture de Modigliani / Musée Thyssen de Madrid, 2008 / à droite: Modigliani, Picasso et Salmon Modigliani possédait-il à l’instar de ses illustres amis artistes et collectionneurs, des sculptures africaines qui l’aurait conduit à une réflexion esthétique nouvelle? Fréquentait-il tel Braque ou Gris les premières galeries parisiennes d’art primitif, comme celle du Boulevard Raspail ? Laissons aux biographes le soin d’y répondre. En tout cas, on sait qu’il ne réalisera que 25 sculptures dont des têtes d’aspect monumental (clichés du haut) qui témoignent de sa quête d’une sorte de beauté abstraite et atemporelle. Modigliani admirait Brancusi, et comme lui, il taille la pierre parfois d’une manière assez grossière et sans souci du détail.
A.Modigliani / Tête de profil gauche avec chignon (Dessin, 1910)
En observant les dessins et esquisses qu’il réalise entre 1909 et 1914, on ne peut s’empêcher de noter une similitude avec cet effet de grandeur, de virginité et d’immobilité que les artistes du début du XXème siècle découvre dans l’art nègre ( “Un art encore assez vierge pour créer de l’admiration “ a écrit Vlaminck).
Aquatinte n° 3. Gravure réalisée par les éditions “Il Cigno” sous la direction des Archives Légales Amedeo Modigliani - Timbre sec des Archives Légales A. Modigliani / Jeanne Modigliani - - Monograme à l’encre. Dimension avec les marges : 50 x 35 cm / Info e-mail: [email protected] / Galerie André Roussard, Montmartre / http://www.roussard.com/ Modigliani cherche dans la représentation du portrait à sublimer la figure humaine non par la couleur, le relief ou le contraste, mais par la puissance expressive de la ligne. Comment dès lors ne pas entrevoir une parenté secrète entre ces sculptures hiératiques et par exemple les masques blancs “ngil” des Fang (Gabon) ? Ces longs cous démesurés parfois épais, ces yeux en amande exagérément effilés , ces visages graciles qui trahissent la solennité… tant dans sa peinture à partir de 1914 que dans sa scultpture, Amedeo Modigliani semble avoir trouvé dans la courbe, le contour et l’arête, la force instinctive dont les artistes-sculpteurs de cette Afrique lointaine ont pu témoigner dans leur quête inquiète de l’au-delà. NJ
Références:
Expo Modigliani / Kunsthalle de Bonn
Modigliani sur Peintres-analyse.com
100 chefs d’oeuvre d’Afrique Musée du Quai Branly
Galerie André Roussard
ArtSevenSun , Les arts anciens d’Afrique