Elle a quitté ce monde-là, Marie. Elle a grandi Marie. Elle s'est débarrassée de ses quelques kilos en trop comme un papillon quitte sa chrysalide. Elle a laissé pousser ses cheveux noirs, elle les a détachés, elle a compris un jour, Marie.
Elle s'est regardée dans un miroir, Marie, elle a vu ses deux yeux bleus comme elle ne les avait jamais vus.
Elle rentrait de l'école ce jour-là. Un garçon, celui que toutes les filles regardaient passer et qui s'enfuyaient en rêvant qu'il en embrasse une. Un brun, les yeux très noirs, plus grand que ses copains, mieux habillé aussi, d'aucuns diraient hautain ou prétentieux. Mignon, sûrement beau un jour, le plus beau de l'école en tout cas cette année-là.
Il s'est approché de Marie. Il lui a dit des choses gentilles. Marie a fui. Elle a eu peur, peur de ce qu'il lui disait. Elle est rentrée chez elle, Marie. Puis ce furent d'autres garçons. Elle a commencé à comprendre, Marie.
Marie est devenue de plus en plus jolie. Mais Marie ne voulait pas qu'on la touche. Marie avait encore peur qu'on se moque d'elle. Marie a encore fait plus d'efforts. Elle s'est aidée à embellir encore plus. Elle en a passé du temps Marie, avant de se satisfaire de son reflet.
Mais pas de garçon. Jamais. Sa beauté qui grandissait, Marie la gardait pour elle.
Marie s'est envolée un jour. Elle a quitté son monde et s'est glissée dans un autre. Marie était peut-être trop belle désormais pour cet ancien univers. Alors, Marie a choisi une ville bien plus grande, pour que sa beauté à elle reste là, dans son miroir, et que personne d'autre ne la voit.
Un jour Marie, Marie a rencontré celui qui l'a regardée différemment. Lui n'avait pas ce regard brûlant, il avait juste les yeux brillants. Elle s'est laissée approcher, Marie. Elle a eu un peu moins peur, Marie, elle s'est même sentie rassurée. Elle a senti qu'elle pourrait bientôt arrêter de courir, de fuir et de se cacher. C'est ce qu'il s'est produit, Marie. Marie a trouvé la rassurance, la résilience d'un passé enfoui désormais, la petite fille Marie était morte, elle a vendu ses Barbie, Marie.
Elle s'est blottie dans ses bras parce qu'il était doux. Elle s'est laissé faire parce qu'elle n'avait plus peur. Il lui a fait l'amour avec tendresse, elle a découvert ce drôle de geste là, Marie. Et longtemps, cet acte simple lui a paru le seul possible. Longtemps, Marie a vécu cette vie douce et Marie souriait. Marie s'ennuyait peut-être, mais elle ne le savait pas. Marie se cachait derrière lui désormais. Il était devenu son miroir, elle embellissait pour lui. Doux plaisir, Marie.
Puis, Marie a encore grandi. Elle s'est arrêtée d'être seule dans sa tête. On lui a parlé de mariage. Ah bon ? s'est dit Marie. Marie a compris qu'on lui disait d'aller ailleurs, de bousculer sa vie, Marie. Un homme à épouser, des enfants à faire naître, Marie. Mais Marie a senti un drôle de doute qui naissait en elle.
Qu'est-ce qu'elle a fait Marie, avant ce jeune homme aux yeux brillants?
Rien, s'est dit Marie. Alors Marie s'est rendue compte qu'elle cherchait à savoir quelque chose.
Marie a appris l'amour bizarre sur des cassettes. Elle les a regardées avec lui. Elle a appris, Marie, tout ce qu'elle pouvait faire et qu'on pouvait lui faire. Mais elle regardait Marie. Elle a essayé Marie, avec lui, certaines choses étranges qu'elle pensait pouvoir aimer. Mais rien ne s'est passé comme elle voulait, parce que lui, doux et sage, n'était pas intéressé. Lui était là, au quotidien, et ce quotidien endormait peu à peu l'animal un peu sauvage qui voulait sortir d'elle.
Marie se sentait bien cependant. Une vie calme et paisible, un endroit sécurisant où pas grand chose de pénible ne pouvait lui arriver. Un endroit pour vivre, un endroit sans en attendre un autre, Marie. Et ça, c'est rassurant, Marie.
Puis, Marie a ouvert une drôle de porte un jour, à cause d'un clic de souris. Elle est entrée dans d'autres mondes, sans quitter son univers. Un jeu peut-être, un jeu sans risque, où peu à peu, le vide de son âme s'est un peu rempli, sa curiosité fut un peu assouvie, son temps gaspillé donna une impression de l'être un peu moins.
Tout à coup, elle a eu plein d'amis, des amis qui ne la voyaient pas, des amis qui ne la jugeaient pas. Comme un bistrot éteint où chacun payait sa tournée dans le noir en écoutant les autres parler. Elle aimait ça, Marie, elle s'y rendait souvent dans cette endroit rempli de visages effacés.
Le jeu a continué longtemps pour Marie. Comme si une deuxième vie se construisait sous ses yeux. Elle pouvait être bimbo, sainte ou diablesse, cultivée ou gentiment idiote. Elle s'en amusait Marie.
Un jour, un garçon aux yeux brûlants est entré dans cet endroit aveugle. Il a joué lui aussi, s'est fait payer quelques chopines, personne ne voyait ses yeux. On ne pouvait voir que ses mots, les mêmes que les autres. Les yeux brûlants étaient encore masqués. Le jeu s'est prolongé, allant un peu plus loin. Les mots n'ont plus suffi je pense, Marie. Alors Marie, mutine et légère, a échangé sa photo.
Elle a vu les yeux brûlants, les yeux que le garçon qu'elle avait fui, il y a longtemps. Mais cette fois-ci, pas de demi-tour, pas envie, au contraire. Laisser faire, laisser venir, Marie, pousser les choses et savoir enfin ce que deux yeux brûlants peuvent vouloir dire, Marie.
Elle n'a plus peur, Marie. Presque plus.
Et ils ont parlé, longtemps. Rapidement, ils se sont isolés dans une arrière-salle, ils ont discuté uniquement entre eux, n'entendant que rarement le gentil brouhaha produit autour d'eux. Ils se sont écrits, longtemps. Ils ont appris à s'écouter, à se connaître, ils ont même eu quelquefois l'impression qu'ils se connaissaient déjà, depuis très longtemps.
Drôle de sensation.
Puis, les mots sont devenus plus difficiles à écrire, ils ont senti ce besoin de voir, de toucher, de sentir. Mais ils ne l'ont pas dit tout de suite, ils ont attendu le moment où plus rien ne pouvait les en empêcher.
Étrange, Marie, comme tu n'avais pas de scrupule à parler à cet homme. Étrange, Marie, comme tu t'imaginais souvent dans ses bras. Étrange, Marie, que tu t'ouvres aussi facilement à lui.
Tu t'es levée un matin, Marie, tu as pris ta douche Marie. Tu as coiffé tes cheveux, tes longs cheveux bruns. Tu as regardé ta peau, Marie, tu as eu très peur à ce moment-là. Encore plus quand tu as regardé tes seins que tu trouvais trop petits ou tes fesses que tu trouvais trop rondes. Tu ne savais pas, Marie, que quelqu'un te verrait avec des yeux brûlants.
Un regard en feu qui allait bientôt te voir telle que tu rêvais d'être, Marie. Alors Marie a pris son courage à deux mains, l'a enrobé d'un maquillage très fin, l'a caché sous de jolis dessous, une belle jupe. Elle a chaussé ses bottes, Marie, elle a pensé au Chat Botté, Marie. Enjamber les métros comme on saute un trottoir ; pour être là-bas, très vite, et enfin savoir.
Elle a eu peur Marie, tout au long du trajet. Peur de lui, peur d'elle, encore.
Elle a pris son téléphone. Elle est arrivée là, devant la vitre d'un bistrot. Il a décroché, raccroché, il est tout de suite venu l'accueillir.
Les billes incandescentes étaient face à elle. Un baiser sur une joue. Et son propre regard a commencé à se consumer.
Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu