Intemporalité de l’art

Publié le 07 juin 2009 par Alainlecomte

Le hasard des expositions nous rend évident l’existence d’invariants à travers l’histoire. Ne peut-on voir comme une réminiscence des fresques de Lascaux dans cet extraordinaire galop peint par Kandinsky ? Et pourtant… l’art du peintre moderne fondateur de l’abstraction est tout de pensée et de réflexion : si le cheval est ainsi c’est en vertu d’une conception théorique du rôle du trait et de la couleur, de leur dynamique, expression de la vitesse et du temps. C’est une immense simplification, ce en quoi d’ailleurs l’art semble toujours résider. Or cette simplification était là, déjà, chez l’artiste de Lascaux.

D’autres exemples ? dans une des compositions de Kandinsky, le commentaire met en lumière un trait lumineux qui traverse la toile, comme un rappel, dit ce commentaire, de la figuration de la lance de Saint-Georges (une figure qui revient souvent dans la petite mythologie portative du peintre russe). Cette lance qui terrassait le dragon, ne la voyait-on pas déjà chez maints primitifs ? et n’y jouait-elle pas déjà le même rôle plastique de trait d’union, de rayon lumineux ?


(Bild mit weissem Rand, 1913)

Et ceci m’amène à une autre exposition, vue juste la veille de ma visite à Beaubourg, celle des primitifs italiens de Sienne à Florence, au musée Jacquemart-André. L’histoire en diaporama de presque deux siècles de peinture, entre 1290 et 1450, siècles les plus émouvants peut-être car c’est à leur époque que se sont manifestées les plus belles inventions, depuis les maladresses de la représentation de l’espace au temps de Guido da Siena, puis de Tadeo Gaddi, jusqu’à sa maîtrise par Fra Angelico.


(La Cène, de Tadeo Gaddi)

Un blog remarquable sur l’image a déjà consacré un très beau billet à cette exposition et, en particulier, à cette peinture captivante : la prédelle sur la guérison de Justinien, par Fra Angelico. Ajoutons aussi ce lumineux petit tableau, toujours du même, qui raconte « la preuve par le feu de Saint-François ». Les personnages sont comme des blocs de couleur : tout le monde attend ce qui peut sortir de cette flamme. La simplification des plantes et herbages, comme celle de la décoration du trône royal, à l’inverse de la richesse du détail qui adviendra par la suite, nous évitent d’être distraits et nous forcent à nous concentrer sur la figure essentielle, celle du saint, vers qui les regards convergent. Encore des recettes picturales (même si ici peut-être le fruit d’une pure naïveté) qui donnèrent lieu plus tard à mure réflexion, et que Kandinsky explore et systématise.

Intemporalité… et rupture : je remets à demain d’écrire un billet sur la plus bouleversante des expositions : celle des femmes artistes au centre Pompidou . Rupture ? Oui, cette expo le révèle comme aucune autre ne pouvait le faire. Il a suffi de mettre ensemble toutes ces oeuvres de femmes pour qu’on voie apparaître ce qu’on n’avait pas encore perçu dans des siècles d’art presque exclusivement masculin (encore qu’on ne sache pas très bien le sexe des auteurs de Lascaux !) : une représentation de la violence intime (sexuelle principalement), et du corps, qui échappe aux hommes.