Episode 2 : Où la mobylette maudite continue ses infâmes exactions et où l'on assiste à des retrouvailles fort attendrissantes...
« Comme c'est gentil à vous, mon enfant, de me prendre en stop ! » dit avec un sourire une très vieille dame à cabas noir que Gudule venait de happer et qui s'était retrouvée assise sur le guidon sans même savoir ce qui lui arrivait. Du coup, Gudule récupéra ses lettres. « Punaise, la vioque, descends, je n'y vois plus rien, on va se viander ! » cria-t-elle. Mais la dame, visiblement un peu dure d'oreille, continuait de sourire tranquillement et de hocher la tête, ravie d'échapper pour un moment à la monotonie de sa vie quotidienne. « Attention, chaud devant ! » hurlait Gudule en zigzaguant dans les rues en pente et on s'écartait devant elle avec un cri de terreur. « Indique-moi donc la route, vieille idiote, si tu ne veux pas qu'on se retrouve dans la mer ! » « Tournez à droite, mon enfant, dit la vieille qui n'avait rien entendu mais comprenait confusément que son « obligeante amie » était quelque peu perdue. C'est plus court par là. »
Gudule, qui n'y voyait strictement rien, obéit aveuglément, se disant que LA chose à faire dans l'immédiat était de se débarrasser de cet encombrant paquet dans la première boutique venue. Mais la vieille s'était plantée : la mobylette s'engouffra à cent à l'heure dans une jolie volée d'escaliers. Gudule avait beau serrer les dents, elle ne pouvait s'empêcher de gémir à cause de ces atroces soubresauts tandis que sa passagère, elle, était ravie : « Et hop ! Et hop ! disait-elle à chaque marche. Ca fait bien longtemps que je ne me suis pas fait secouer comme ça ! Et hop ! » Et au terme de cette descente effrénée, Gudule perdit totalement le contrôle de la situation, entra dans une boucherie, éjecta la vieille dans la bande frigorifique et repartit par la porte de service. Puis, délestée de son fardeau, elle reprit sa course démente et arpenta de nouveau les rues du quartier en criant « mon Maître ! Réponds-moi, mon Maître ! »
Le caribou fou avait trouvé refuge dans un grenier, sous le toit d'un petit immeuble sis à l'extrémité est du Panier et avait passé la nuit à se gratter furieusement le museau en se demandant comment il allait repartir de Marseille et se venger enfin de son abominable frère. Il était furieux de s'être ainsi fait duper mais trouvait sa situation présente finalement pas trop mal dans la mesure où il avait un toit pour dormir, c'était un endroit calme et personne ne l'ayant vu entrer, personne ne viendrait le chercher là. De plus, il était à l'abri du froid et du mistral. Seul point noir, il avait faim, mais c'était encore supportable. N'ayant pu se reposer cette nuit-là, il s'apprêtait à piquer un petit roupillon réparateur lorsqu'une voix abominable lui fit dresser tous les poils à la verticale. « Oh nom d'un chien ! C'est Gudule ! » Et de terreur, il glapit en langage de caribou et voulut s'échapper par les toits. Mais le vacarme continuait.
Compte tenu de l'équation suivante : mobylette déglingue + voix atroce de Gudule = torture que nul être vivant au monde ne peut supporter longtemps, le caribou fou se concentra et après s'être dit que, de toutes façons, s'il ne répondait pas, cette horrible sorcière allait continuer son cirque pendant des journées entières, il envoya des ondes suffisamment fortes pour entourer Gudule et la dérober en un instant aux yeux des passants. « Et bé ! Elle est passée où, l'autre cinglée ? » demanda un cordonnier à sa charcutière de voisine qui haussa les sourcils, leva les mains au ciel et se trémoussa lamentablement, montra ainsi son incapacité à répondre. « Elle m'a tiré cinq boudins et dix saucisses et elle est repartie ! » se contenta de dire la commerçante, désolée de voir qu'une si belle matinée commençait si mal.
« Mon Maître ! bava Gudule en s'aplatissant sur le sol poussiéreux du grenier. Enfin, je t'ai retrouvé ! » « T'aurais pas pu être plus discrète, non ! » cria le caribou fou et il lui flanqua une paire de claques. « Tiens, dit Gudule sonnée, mais radieuse d'avoir retrouvé son maître, voilà du boudin ! » et elle tendit l'objet de son dernier rapt. « Alors ça, c'est merveilleux ! dit le caribou fou. Je crève de faim et du boudin et de la saucisse, ça ne se refuse pas ! » Il engloutit en trois secondes que ce Gudule lui offrait. « Au fond, c'est très bien que m'aies retrouvé, marmonna-t-il après s'être essuyé les babines. Tu vas me dire où sont les salopiots qui m'ont expédié dans ce misérable trou. » « Ils vont bientôt arriver, mon Maître, répondit Gudule. Ils ont décidé de te suivre pour avoir ta peau. » Elle s'approcha de la mobylette, décrocha du guidon le sac du Masque de fer. « Regarde ! murmura-t-elle en prenant son air le plus inspiré. Avant de partir, j'air dérobé l'œuvre du Masque de fer. C'est une bonne monnaie d'échange, non ? » « C'est surtout un excellent moyen de leur tendre un autre piège, dit le caribou fou, pensif, en se grattant à nouveau le museau. Et cette fois, un piège qui marchera. » « On rappelle le cercle rouge, mon Maître ? s'enquit Gudule. Il est de nouveau sur Sirius... » Le caribou fou poussa un hurlement de rage. « Qu'il y reste et qu'il y crève, cet incapable ! Pour ce qu'il a servi ! Se faire avoir de cette façon, c'est même pas digne de toi ! Non, non, je vais t'expliquer mon plan. Mais d'abord, tu vas aller faire des courses... J'ai encore faim. » « Je ne peux pas me rendre chez les commerçants du coin, pleurnicha Gudule. Je crois qu'ils m'ont repérée. »
« Prends la mobylette et va à Carrefour ou dans une autre grande surface, rétorqua le caribou fou. Et ne reviens pas sans du boudin, des saucisses et une fougasse. Et un litre de pastis. Tant qu'à faire, autant goûter les produits locaux. Allez, tire-toi, et vite ! » Et il lui flanqua une autre paire de claques pour lui apprendre la célérité.
(Voilà notre couple infernal de nouveau réuni. Que vont-ils bien pouvoir inventer tous les deux ? Quel est ce plan du caribou fou ? Est-il aussi débile que les précédents ? Et nos amis, les héros positifs de ce nouveau conte, que deviennent-ils ? Sont-il déjà à Marseille ? Une pause s'impose.)