Je regarde par la fenêtre de la petite chambre où je reprends peu à peu vie. Il y a une cour, sobre. Des emplacements réservés aux médecins devant l’entrée des urgences. C’est par là que je suis entrée à mon admission. Je ne m’en rappelle plus. J’étais trop choquée je le sais. Aujourd’hui je suis encore allée le voir. Son état n’a pas changé, mon fils n’est pas sorti du coma. Cela fait maintenant presque deux semaines que j’espère chaque jour. Mais rien ne se passe comme je le souhaite dans ma vie. Jamais rien ne se passe comme je le veux dans ma putain de vie.
J’ai encore interrogé le médecin qui me suit. Le gentil docteur Toubon. Trop gentil même. Je ne l’aime pas. Il n’a jamais l’air angoissé comme je le suis face à la situation de mon fils. J’aimerais voir dans ses yeux la peur et la souffrance que je vois dans mes yeux à chaque fois que j’observe le reflet de mon visage dans une vitre ou une glace. J’ai l’impression qu’il me cache quelque chose. A chaque fois que je lui demande combien de temps encore avant que mon fils ne se réveille, il élude. « Ne vous inquiétez pas, je ne peux pas vous le dire avec précision, c’est normal tout ira bien ». Autant de phrases de réconfort que je ne peux plus supporter.
J’inhale une nouvelle bouffée tirée de ma cigarette. C’est bon, même si je tremble à cause de la fraîcheur de la nuit. Je n’ai pas le droit de fumer bien sûr… D’ailleurs, voilà bien des années que je ne fumais plus. Depuis… Bref. Et puis, il y a trois ou quatre jours, je ne dors presque pas, mes souvenirs s’emmêlent dans ma tête, j’ai trouvé un paquet posé sur une chaise de la salle commune. Quelqu’un en visite qui l’aura oublié là sans doute. Je l’ai tout de suite prit. Alors même que je n’aurais pas dû. Mais l’appel de la fumée était trop fort. En cet instant, je bénis celui ou celle qui a oublié le paquet. J’en ai besoin, vraiment. Sinon comment affronter le silence de la nuit, le bip régulier du cœur de mon fils, sa respiration assistée. Parfois, souvent, je pleure, parce que ce n’est pas mon fils, c’est une machine, une foutue machine qui imite sa vie.
Entre chaque bouffée, je me relaxe, ce qui m’amène à penser, encore et encore… A l’accident, un jour de soleil. Un jour heureux… Si seulement il n’y avait pas eu ce pont, si seulement il n’y avait pas eu le Lac. Je me sens si faible. Je m’en veux. J’aurais pu mieux faire, sans doute, j’aurais du me battre… Je ne me rappelle presque rien. La masse du Lac qui me frappe, qui nous avale. Le cri silencieux de mon fils, le visage déchiré par les éclats de verre de mon mari.
Il y avait un homme et son fils qui péchaient sous le pont. Ils ont vu notre voiture plonger, crever la surface. J’ai été éjecté de l’habitacle lorsque que l’eau s’y est engouffrée. Le pêcheur, bon nageur a pu sauver mon fils. Il était déjà trop tard pour mon mari. Après je n’ai plus que des bribes. La berge, les pompiers qui arrivent. Le massage inefficace pour ranimer mon fils. La force qui me manque pour résister à ces hommes qui me ceinturent de force sur un brancard. Le voile noir de l’inconscient.
Je me réveille chaque fois en hurlant. Parfois dans le noir, souvent dans le blanc, inconsciente que ce que je viens de rêver est la réalité. Piégée dans ce petit hôpital de campagne. Avec des vieux qui ne parlent pas. Avec des infirmières au regard lointain. Avec le docteur Toubon… Toujours trop souriant. J’ai envie de pleurer. Non… Je pleure déjà. Quelque chose ne va pas ici. Je le sens. Comme à la seconde où on voit un serpent, qu’on sait qu’il va attaquer.
— Eleken,
Des soirs, j’ai une putain d’envie de fumer,
Un bout de suite qui j’espère produira l’effet escompter (à savoir du désarroi)