Une cosmogonie de rêve

Publié le 11 juin 2009 par Alikhodja


Du travail d'Ali-Khodja , se dégage une impression de profusion, mais une profusion faite de sérénité et de douceur. Des compositions feutrées , toutes en volutes et rondeurs, bannissant le tranchant, l'aigu et tout ce qui suggère les blessures. Les travaux font penser à une série de "palettes" où le peintre juxtapose ou combine avec prodigalité, désinvolture et jouissance. Le pinceau vagabonde entre les couleurs,s'attardant sur telle ou telle d'entre elles pour rehausser une touche, imposer une nuance précise.
Le peintre dérive dans le temps retrouvant les paysages lumineux ou effrayants de l'enfance , retrouvant ce ravissement et cet effroi qui succitent en nous les premières images " et dernière ?" images du monde. Il retrouve aussi cette liberté toute d'impertinence qui autorise la main à éclabousser et gribouiller, juxtaposer les extrêmes, à marier les antagonismes.
Sur les toiles d'Ali-Khodja , le blanc crayeux des falaises "le temps qui passe", le vert des frondaisons , les fleurs les "Fleurs de roche", l'horizon en flamme du couchant " hors saison " fusionnent pour construire une cosmogonie du rêve. Rêve-t-on en couleurs?, s'est souvent interrogé l'homme. Les cieux d'Ali-Khodja, ses surfaces multicolores, son " Soleil bleu " qui dégouline sur les murs , ses "paysages oniriques " où les rouges s'assombrissent jusqu'à devenir inquiétants, ses " Villes immergées " dans les glauques, les azurs et les safrans sont justement le genre paysage où aime musarder et s'ébattre en rêve.
Dans les éléments et les couleurs en fusion, dans ce magma des origines et de la fin de l'enfance et la vieillesse mélangent leurs fantaisies, leurs jubilations et leurs terreurs. Les " Méandres du silence " circulent , taraudent l'à-plat de la toile, y traçant de subtiles nervures. Des soleils s'esquissent, des yeux, des nombrils multiples orifices et fronces où la vie s'agite et frémit. La " Mémoire du regard " vagabonde, bat le rappel de confuses sensations sombrées dans le gouffre du temps. Le regard de l'homme qui naît et celui qui meurt se rejoignent alors dans la même soif, le même émerveillement la même célébration, la étreinte éperdue de toues ces merveilles du monde qu'on craint de voir fuir.
Si l'on considère l'itinéraire d'Ali-Khodja qui va avoir soixante dix ans, on s'aperçoit que le peintre n'aime pas beaucoup les confrontations avec le public : quatre expositions personnelles et une quinzaines de participations à des expositions collectives. Nous avons affaire à un artiste exigeant et discret qui n'excelle guère à brasser du vent ou emboucher des trompettes, qui tient avant tout à son plaisir et à sa liberté, à une indépendance qui lui fera rejeter toutes les appartenances doctrinales . Ce désir de liberté et d'autonomie s'est manifesté très tôt, lorsqu'Ali-Khodja décide d'abandonner la miniature où pourtant el se distingue de peur d'être intronisé comme le continuateur de ses illustres oncles Omar et Mohamed Racim, comme le gardien d'un patrimoine familial, de peur de bénéficier d'une légitimité qui lui viendrait par héritage.
Mais Ali-Khodja garde " et son exposition actuelle en atteste " de son passage par la miniature, l'amour des détails, une composition toute subtilité et d'équilibre.
Aujourd'hui, après un demi- siècle de pratique artistique" sa première exposition date de 1941", Ali-Khodja n peut enfin affronter la couleur dans un bras-le-corps jubilant: il ouvre sa toile toute grande et les couleurs affluent, submergeant les contours et les formes, s'agitant pour créer la vie, pour ressusciter les premiers germes d'une sorte de magma originel
Tahar Djaout