On discutait toutes les deux de la fin de l'année scolaire approchant, elle me dit qu'elle est
contente du dernier devoir de maths avant baccalauréat qu'elle a donné à ses terminales S :
"La belle au bois dormant tient sa quenouille la main. Sachant qu'il ne lui ait rien arrivé pendant les 8 premières minutes, calculer la probabilité qu'elle se pique le doigt pendant les 5 minutes
qui suivent."
Ca m'a turlupiné un bon moment. Bien évidemment : une histoire de doigt piqué.
Les questions fourmillaient :
- quel âge a la belle au bois dormant ? Si moins de 15 ans, elle n'est pas encore arrivée au moment où le sort jeté réclame sa réalisation. La réponse à l'exercice serait simple : probabilité
zéro
- si elle a 15 ans révolus, sait-on si la belle au bois dormant a tous ses doigts? Moins de doigts, moins de chance de se piquer (quoique...)
- question dérivée de mes interrogations sur la question précédente : comment tient elle sa quenouille, et est-elle maladroite?
Bref, je me débattais avec l'absence d'intertextualité.
J'étais dans une impasse.
Je suis retournée voir mon amie, elle s'appelle Sophie Marcus et elle n'est pas du tout sadique avec ses élèves. C'est juste que l'intertextualité à partager est différente, assez belle à regarder
d'ailleurs, avec ses intégrales en début de formule qui ressemblent à des corps de jeunes filles graciles, à des belles pas encore endormies.
C'est qu'il fallait calculer cette probabilité, non pas en fonction de la loi acariâtre d'une fée jalouse mais en fonction de la loi plus neutre et plus difficile à calculer dite "de la durée de
vie sans viellissement".
Si j'ai bien compris : cette loi mathématique permet de calculer les probabilités d'événements ne dépendant pas du passé, mais de la longueur de l'intervalle de temps futur sur lequel le
risque d'événement s'appliquera.
Une loi mathématique de calcul de probabilité appliquée par exemple pour calculer les durées de vies des appareils ménagers. On dit que la durée de vie d'un appareil est sans vieillissement, ou
sans mémoire, lorsque la probabibilité qu'il fonctionne au moins encore t1 heures ne dépend que de t1 et aucunement du temps t0 pendant lequel il a déjà fonctionné.
Bon d'accord, on pourrait s'offusquer que le destin de la Belle au bois dormant se calcule comme celui d'un grille pain ou d'une machine à laver. Mais à bien y regarder, cette façon de calculer
permettrait de réintroduire dans le conte la liberté qu'il a spolié aux jeunes filles.En effet :
- sachant que le sang dont il est question dans ce conte ne coule peut-être pas au doigt mais ailleurs, et que la piqûre est le fait d'un autre dard que celui de la quenouille (c'est
Bettelheim qui le dit)
- sachant que la question n'est plus de savoir ce que le passé dicte à la belle sur ce que sera son futur (et notamment à quel âge une jeune fille doit nécessairement se faire piquer)
- sachant que le grand sommeil qui s'ensuit est sans vieillissement, là-dessus le conte et les mathémathiques sont d'accord
Il pourrait en résulter qu'une femme doit très certainement avoir une probabilité de se faire piquer, exactement quand elle le désire, et jamais quand elle ne le désire pas.