Thomas Cazals est un réalisateur et Thomas Cazals est un con. Thomas Cazals est un con parce que ce prénom Thomas qu’on lui donna en 1969 était à cette époque un prénom rare et original (En 69, il était 110 ème au classement de l’usage des prénoms). Mais ce prénom s’est popularisé au point qu’aujourd’hui, il est le 4 ème prénom le plus utilisé. On pense que Thomas Cazals n’est personnellement pour rien dans cette progression mais tout de même. On peut penser que sa gentillesse souriante, son physique avenant, son esprit affûté et sa nonchalance tranquille ont contribué à populariser ce prénom pour l’amener à ce niveau d’usage et, ce, paradoxalement, à la grande déception de ses parents ! En effet, à cette époque, ceux-ci, croyant bien faire, avaient voulu faire l’effort de la singularité en choisissant le prénom, rare à l’époque, du plus célèbre des incrédules. A propos d’incrédule, il faut noter que Thomas Cazals est un con parce que lui, c’est le contraire : il croit tout ce qu’il voit, en tout cas ce qu’il voit sur le net. Cette naïveté l’a amené quelquefois à quelques erreurs d’appréciations sinon de jugement. Mais heureusement, Thomas Cazals toujours à la recherche du moment où « la réalité s’effondre pour laisser voir autre chose » sait qu’il ne doit pas prendre des vessies pour des lanternes et des téléphones portables pour des exploseurs de grains de maïs.
Mais c’est une autre histoire et Thomas Cazals est un con parce que son prénom est aussi un Nom de famille, en effet ce patronyme « Thomas » est le troisième patronyme le plus porté, en France, derrière les Martin et les Bernard. Thomas Cazals est un con parce que du coup s’il s‘était appelé Thomas Thomas, il serait en tête de toutes les occurrences Google. Alors qu’aujourd’hui, sur Thomas Cazals, on en trouve 585, occurrences, contre plus de 30 millions pour Sarkozy et presque 10 millions pour David Lynch, contre 310 à Eric Huc, et un tout petit 33 à Philippe Soudée. En ce qui concerne ce dernier, on aurait pu lui accorder l’excuse de l’âge et de sa non familiarité avec le net, mais Patrick Cazals, son aîné, se retrouve loin devant, naviguant à 3200.
En revanche Thomas Cazals est un con parce que s’il y avait un classement des heures passées sur internet, il serait largement en tête. En effet depuis des années il semble qu’il en ait fait son occupation sinon principale au moins préférée. Il fouille, triture, navigue, bidouille le net, non pour occuper un éventuel vide existentiel mais simplement et tranquillement pour y débusquer, à sa façon, des éléments signifiants d’un réel montré et vécu autrement. Il en tire même à force d’extractions et de bout à bout des films que l’on retrouve ensuite sur le net
Thomas Cazals est un con parce qu’il a compris que, dans ses errances chaotiques, au cœur de ce grand bordel, dans ses glissades informelles, au creux de ces immenses flux d’informations et d’images, il pouvait traquer et déceler quelque chose du battement secret de la vraie vie. Alors, en oscillant sans cesse entre le dérisoire et l’essentiel, l’ordinaire et le très grave, l’anecdotique et l’historique, le vrai et le faux, le beau et le pas beau, entre le rien et le pas grand chose, entre le pas fini en travaux et l’inachevé définitif, il a senti qu’à travers les pixels parasités, les flous et les pas très nets, il y avait là quelque chose à saisir, à ordonner ou non, pas pour y donner du sens, ou y débusquer les prémices d’improbables et inutiles preuves, mais simplement pour contribuer à inventer une sorte de poétique du Web. Une poétique du télescopage, du chevauchement et de la juxtaposition pour voir poindre et vibrer une vérité autrement… Une poétique du web qui, si Thomas Cazals était un homme de parti pris ou à prendre, pourrait s’apparenter aux travaux de l’Oulipo. Ça n’est pas le cas, parce que il n’y a, pour lui, pas de règles qui prévalent, aucun dogme académique pour se guider, ni de systèmes métriques ou d’algorithmes « googeliens » pour prendre ou battre la mesure. Au contraire et S’il y a parfois quelques règles, elles ne sont intéressantes et efficaces que si elles s’oublient au fur et à mesure qu’il n’en aurait plus besoin…
On pourrait dire aussi , en exagérant le trait et les pixels, que les films de Thomas Cazals ont dans une certaine mesure (une mesure exagérément saugrenue et complètement décalée) la liberté de ton de Baudelaire lorsqu’il écrivait sur les salons, l’acuité dérisoire et la curiosité de Dubois lorsqu’il écrit sur l’Amérique, l’intelligence de Barthes lorsqu’il débusque les nouveaux repères d’une mythologie contemporaine, l’étrangeté ambiguë d’un film de David Lynch, la légèreté béate d’une chanson de Donovan, l’humour décalé d’un cadavre exquis, le cynisme raffiné et savant d’un Charles Dantzig lorsqu’il erre en littérature et aujourd’hui en vie quotidienne. Pour toutes ces raisons et pour d’autres encore, Il y a donc urgence pour Thomas Cazals à proposer encore et encore de ses films qui naissent de ses balades… Et pour finir comme une critique de Télérama, on pourrait dire qu’il y a urgence a tranquillement se les déguster.
Thomas Cazals est un con parce qu’il a beaucoup de projets, qu’on attend, mais ou parce qu’il est un peu ou complètement feignant ou parce qu’il prend tant de plaisir à ces errances qu’il y prend tout son temps, on l’attendra donc encore un incertain temps. Et on peut le regretter et là c’est nous qu’est con.