Magazine Humeur

Une société de calculateurs sans cervelle

Publié le 15 juin 2009 par Amaury Watremez @AmauryWat

« Il y a une part de la réalité relevant non du contrôle quantitatif, mais de l'intuition vagabonde. Cette intuition, c'était justement ce qui guidait les fondateurs de la médecine à l'aube de l'ère moderne »

(parlant du feuilleton « Docteur House » comme quoi on peut faire de la philosophie de tout)

« Nous risquons de devenir tous et partout des bêtes à concours sans espoir et, comme disait Nietzche, sans joie. Ce type de rapport à la vie pourrait amener à un sérieux appauvrissement de l'existence. Les évaluations impliquent un monde déjà en place et connaissable. Un monde dont l'incertitude inhérente à l'avenir est bannie ».

« Les vraies découvertes impliquent une certaine aberration, ou tout du moins des risques et un certain goût de l'imprévisible ».

Avita Ronell dans un entretien paru dans « Marianne » du 13 au 19 juin, page 80-82.

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Après avoir lu cet entretien présentant son livre j'ai eu envie de dire « enfin », enfin quelqu'un qui parle des délires du quantificatif, du fascisme statistique, de l'imbécilité de la mise à l'épreuve obligatoire qui nous mène à une société stupide, au bonheur universel mais imposé et contrôlé, l'individu renonçant à tout ou partie de ses libertés. Ce qui est très intéressant avec ce livre et cette philosophe est qu'elle ne se réclame pas d'une idéologie ou d'une autre pour appuyer ses dires, mais s'inspire des travaux de Foucault, Husserl et des livres de Kafka dont on limite souvent l'oeuvre à « la Métamorphose » ou encore au « Procès ». Elle part aussi de personnages de Flaubert comme Homais à la mentalité calculatrice, et Charles Bovary plus intuitif, plus imaginatif.

Selon elle, cette tentation du décompte chiffré de la vie humaine a toujours existé, il conduit chez nous à la marchandisation de chaque chose, y compris le corps et l'âme humaine, à la judiciarisation des rapports sociaux, même quand cela découle d'une bonne intention, et finalement à la négation de l'humanité qui n'est plus qu'un regroupement de mécaniques. Même la science est touchée, car finalement les grandes découvertes ont souvent été effectuées par des personnes qui finissent par contredire des théories considérées comme intouchables ; et dans la réforme actuelle des universités françaises, l'évaluation des résultats des chercheurs est une absurdité totale. L'auteur ne se situe cependant ni à droite ni à gauche, son discours contredit aussi bien la dogmatique des uns ou des autres, et c'est ce qui fait tout son intérêt. On ne quantifie pas l'esprit, le beau, le talent, le génie, la sensibilité, considérés comme superflus. Et pourtant, plus que jamais notre monde en a besoin, et non de discours lénifiants.

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La tendance calculatrice semble victorieuse, mais elle ne fait que soutenir une société en voie de dégénérescence rapide, car seul l'égoïsme y est l'anti-idéal partagé par tous, tout comme l'ignorance et l'inculture triomphantes, qui se doublent également d'un relativisme des goûts, d'une volonté de ne surtout rien hiérarchiser, Chateaubriand voisinant avec Marc Lévy qui lui-même voisine avec Flaubert, Céline étant mis sur le même pied que Houellebecq, tout comme Aragon est perçu comme un romancier valant bien un auteur de « la veillée des chaumières ». Comme nous sommes maintenant constamment à la traine des Etats Unis, où publie Avita Ronell, il faudra nous montrer patient, nous comprendrons sa réflexion d'ici dix ou quinze ans, il sera bien trop tard.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Jenny Poulin
posté le 05 juillet à 09:04
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très bon article sur Avita Ronell. Il nous communique la jubilation qu'il y a à entendre les idées transgressives de cette philosophe.

A propos de l’auteur


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