L'enfer des jardins familaux

Publié le 15 juin 2009 par Jcr3
Chardon algérien ?

J'ai pensé que cela pourrait être sympa de visiter les jardins familiaux du quartier populaire à coté duquel j'habite. L'idée m'est venue après avoir rencontré, pour un article, une femme extraordinaire, docteur en sociologie, qui après avoir travaillé pour des organismes internationaux a créé une association d'entraide, pour les femmes, qui dispose d'une parcelle aux jardins familiaux : Elles y cultivent toutes sortes de légumes, assurait-elle, même ceux qu'elles ne trouvent pas ici.

Bingo, ça m'intéresse et toi aussi, j'en suis sur. Je prends rendez-vous et je m'y rends, appareil photo en bandoulière, d'un pied léger, sous un soleil de plomb. J'arrive enfin, transpirant mais encore présentable. Un portail impressionnant barre l'entrée : Jardins de..., garder cette porte fermée!

L'avertissement est clair et la porte est fermée à clef. J'avise trois gosses qui se chamaillent pas très loin. Bonjour, vous pouvez aller chercher quelqu'un pour ouvrir ? Silence, à peine un regard, pas bonjour. Les sales gosses! pensé-je aussitôt mais je réitère poliment : Vous savez qui a les clefs? Mon papa! Vas lui demander s'il-te-plait. Rien, elle continue à sauter à la corde et je reste planté au portail des jardins, un comble !

Il y a du monde pourtant. Les dos des jardiniers du dimanche, penchés sur leurs sillons, ondulent entre les haies de démarcation. Au loin, une tablée sous un auvent et la fumée d'un barbecue. Ici et là, des cabanes de jardin et leur tonne d'eau, une par parcelle. Je tope un petit qui passe devant : Comment tu t'appelles? Quentin! Je l'ai ferré, Quentin va chercher quelqu'un, s'il te plait.

Rangs au carré 

Une femme arrives aussitôt, avec la clef. Elle fait partie de l'asso et leur parcelle est la première en entrant. Vache, je m'attendais à autre chose. Le carré est mal défriché, la terre n'est pas travaillée et le pauvre rang de haricot manque autant d'eau que de soins. Je suis déçu. J'imaginais un potager du monde avec des aubergines africaines, des racines de polynésie, des piments marocains, que sais-je...

Seules les fèves sont belles. De grosses gousses à deux grains. Elle m'explique qu'il faut cuire la gousse avec la fève, que c'est délicieux avec du couscous. Elle me donne une pousse de cerfeuil algérien Je l'ai ramené de là-bas. Enfin, le voyage commence. Elle ajoute deux pieds de courge allongée Ici elles sont rondes mais chez moi en Algérie elle sont comme ça! et écartant les mains elle montre au moins la taille de la sardine qui a bouché le vieux port... Sympa, je remercie.

Elle me parle aussi de chardons d'Algérie qui poussent dans une autre parcelle, celle de son mari ou de son ex-mari, je n'ai pas bien compris. Je la suis et là elle pénètre dans le jardin d'un monsieur qui n'a visiblement pas envie de la voir. Commence une partie de cache-cache autour de l'abri. Elle l'appelle il se défile, ils sont ridicules et ça va mal finir. Je m'éclipse.

Un jeune homme qui a vu que je prenais des photos, arrive à ma rencontre. Il a l'air sympathique, son sandwich merguez à la main, le Marcel moulant et le bob vissé sur le crâne. Une juvénile moustache lui encadre curieusement la bouche. Il m'apprends que le couple se déchire et que les beaux jardins sont là-bas, au fond. Il m'accompagne.

Nous arrivons chez les pros, ça se voit aussitôt : Rangs au carré, patates, poireaux, oignons, haricots, les grands classiques. Les allées sont en pelouse, à angle droit ou tellement à nu que c'en est indécent. Pas de pissenlits ni de plantains. Sur les feuillages des patates, des traces blanchâtres.

 Ils traitent? je demande doucement, aussi à l'aise qu'un touche pas à mon pote à un congrès du FN. Ha oui, ben obligé ! L'aut'jour, sur mes patates j'ai trouvé un doryphore. Un doryphore ? Je n'en ai pas vu depuis mes tendres années ou je gagnais un maigre pécule à débarrasser les patates de Mère-grand de ces putains de bestioles. Mais plus depuis des années. Cela m'a confirmé tout le bienfait des association et du mélange des rangs dans les carrés. Les amateurs me comprennent...

Je tente, auprès de mon jeune beauf, des mots comme "association", "purins", "compost"... Il ne comprend pas mais me montre du doigt un épouvantail qui ressemble à Kiri le clown. Une véritable armature en bois sert de rames aux haricots entre laquelle se balance un chat dessiné et découpé dans du contreplaqué. Il ne manque que les nains de jardin et ça me fout le blues.

Je me lamentais à l'intérieur quand deux femmes viennent à ma rencontre d'un pas décidé, elles m'interpellent de loin : Pas le droit, proprièté privée, autorisation, faire une demande à la mairie... Pardon?

Il faut que je demande l'autorisation à la mairie de faire des photos de potager aux jardins familiaux? On vous a vu discuter avec elles, les membres de l'association précédemment évoquée, Faites des photos de leurs parcelle si vous voulez mais pas des notres. Pourquoi? On n'a rien à voir avec eux, vous avez vu leur parcelle?

Gaver et décimer

Ah, heureux qui, comme Robinson, n'a pas de voisins parce que même le Petit Liré devient vite intenable ! Cela m'a rappelé une histoire identique où un jardinier était menacé d'expulsion des jardins familiaux parce que pratiquant la biodynamique et le compostage sur place, les voisins ne trouvaient pas son coin assez présentable. Ces gens murmurent dans votre dos et ne vous tendront pas la main si vous ne leur ressemblez pas.

Je pensais le potager plein de sagesse et de leçons de bonne vie mais il est vrai que nous ne pratiquons pas le même jardinage. Le leur consiste essentiellement dans des dosages de produits et les périodes et la fréquence d'épandages. C'est pour ça qu'ils sont méchants : Gaver et décimer sont les mamelles des jardins familiaux. Quelle sale journée, je reste planté à l'entrée, je n'ai rien à me mettre sous la dent et je me fais prendre à partie par des citoyennes.

J'allais m'en aller sans regrets quand jaillissant d'un fourré, la dame qui m'avait ouvert : décoiffée, écorchée... Elle hoquetait, pleurait en essayant de reprendre son souffle : Il m'a poussé, regarde, regarde... Je suis tombée et elle montre son tibia griffé de toute part. Il m'a tiré par les cheveux, tendant son pathétique chouchou comme la preuve de son agression.

Il ne manquait plus que cela, la goutte d'eau sur le gâteau, la cerise qui fait déborder le vase. Elle attendait que j'aille lui botter les fesses à ce salaud, sans doute... Qu'est ce t'aurais fait, toi? Putain d'humanité... Je me suis cassé.