Au dixième jour du procès, le verdict divisait encore l’auditoire et passionnait les éditorialistes qui avaient pris la main sur les gratte-papiers habituels des colonnes des faits divers. Les médias officiels avaient commencé par ignorer l’affaire, somme toute banale, mais cette fois c’est Internet qui s’en était emparé. Parce que, écrivait une journaliste plus affûtée que les autres, ce drame dessinait mieux que nul autre la société décadente qui s’y reflétait avec son cortège d’extravagance amorale que pointait l’organe même de sa vilénie. Aussitôt, la presse avait flairé l’opportunité de faire passer le message qu’ils rebattaient depuis qu’ils voyaient la courbe de leur lectorat fléchir dangereusement. Accuser ce média, emblème du Mal : incontrôlable et malfaisant, destructeur du noyau familial, Big Brother ou faux-frère….
Devant le tribunal plein à craquer, des prêcheurs improvisaient des discours messianiques dans lesquels ils pointaient du doigt la force diabolique d’Internet, puis distribuaient des tracts sur lesquels un lien renvoyait à un site où il s’agissait de signer une pétition afin, vilipendaient-ils rageusement, de soigner le mal par le mal.
Si la foule s’enthousiasmait pour ce procès, c’est que, non seulement il mettait en scène un crime passionnel, avec les ingrédients habituels qu’on allait pouvoir disséquer à loisir mais surtout qu’il rassemblait sur les bancs de l’accusation, de la partie civile et des nombreux témoins, une large majorité de femmes.
De belles femmes, qui plus est. Photogéniques à souhait, brillantes de surcroît.
Alors, en parallèle, se tenait un second procès, celui de ces femmes toutes puissantes qui mettaient en danger une société en manque de repère, par l’inconscience qu’elles affichaient à se voir occuper tous les postes clés de cette même société, sans pour autant abandonner leur condition de mère, épouse, amante, sœur etc…
Les débats occupaient tous les esprits, dans chaque recoin du pays, de la boulangerie du plus petit village aux salons parisiens ; chacun avait son mot à dire, sa rancœur à sortir, son opinion à bâtir. Si bien que le procès changea bientôt d’enjeu et l’accusée se vit très vite endossée un rôle un peu démesuré, celui d’une égérie ou d’une mégère selon la place qu’on voulait bien lui faire tenir.
Ses avocats, qui avaient eux-mêmes rameuté les médias, virent ce changement de disposition de la foule en délire, d’un mauvais œil. On se trompait de procès ! Il fallait à tout prix revenir à l’origine des faits, et s’y tenir. C’est ainsi que je me vis approcher par l’un d’eux. Le prestigieux cabinet dont ils se recommandaient avait les moyens de ratisser au plus large, de choisir les témoins les plus controversés. Et pour me ranger à leur opinion, n’avaient lésiné sur aucun moyen.
Comment refuser une telle opportunité ? J’avais toujours rêvé de chroniquer un procès, cela faisait partie de mes plus vieux fantasmes. J’avais tout de même rétorqué un peu mollement, j’avoue, que j’aurais très bien pu me ranger sur le banc des accusés, à la place de cette femme qui me ressemblait vaguement. Puisque la « victime », ce brave professeur émérite, avait compté parmi mes amants. Et si je n’étais pas passée à l’acte, ce n’est que la peur effrénée de l’enfermement qui m’en avait empêchée. Magnifique ! avait répondu le bâtonnier, en secouant sa crinière argentée en même temps qu’il retroussait ses larges manches…
(à suivre)