Athées ou croyants, bouffeur de curé ou fan du Jour du Seigneur, nous connaissons tous ce vers « pater noster qui es caelis ».
Ces quelques mots ne sont pas seulement de vieux souvenirs de la messe en Latin que Ben 16 voudrait remettre au goût du jour. Ni même le vieux reste d’une monnaie jadis employée en sortie de confessionnal, qui permettait de racheter petites turpitudes et gros mensonges. « Mon fils, vous me ferez 1 Pater et 2 Ave pour les pensées impures qui vous envahissent».
Non, ce vers instaure la figure du Père tout puissant, et donc forcément inhibant.
Le rôle du Père, comme le disent la plupart des pédopsychiatres et des psychanalystes, est de couper le cordon. Donner à l’enfant son autonomie, le faire passer progressivement de l’âge de nourrisson, où il est exclusivement dépendant de sa mère, à l’âge adulte, où il s’affranchira de ses géniteurs.
Mais de la théorie à la pratique, il y a plus qu’un pas. Un gouffre parfois. Nous constatons depuis de nombreuses années un allongement phénoménal de l’adolescence, dû à une entrée précoce dans ce sas symbolique (les enfants de 10 ans ont aujourd’hui les comportements, et parfois les attributs, des adolescents) et à une sortie tardive (qui ne connait pas un jeune de 25 ou 27 ans au mode de vie de « teenager »). Ce qui était il y a une ou deux générations une période initiatique de transition, qui durait entre 4 et 8 ans, est devenu une longue tranche de vie de 10 à 15 ans, où l’on joue à l’adulte tout en restant enfant. Et plus l’adolescence s’allonge, plus il est dur d’en sortir vraiment, d’où le néologisme d’ « adulescent », apparu il y a quelques années sous la plume des psys et des sociologues. D’où aussi des succès aux improbables connexions sociologiques : soirées « L’Ile aux Enfants » pour trentenaires nostalgiques, Lipdub pour jeunes cadres fanas de Grease ou de Saturday Night Fever, succès monstre du film retraçant l’épopée du groupe Abba, éclosion des concepts de prêt-à-porter mère-fille (Comptoir des Cotonniers) ou père-fils (Father & Son).
Ainsi, là où, il y a quelques années, les frontières étaient assez nettes entre les différents âges de la vie, grâce notamment à des rites, des codes ou des attributs très segmentants, on constate aujourd’hui un étirement des âges, un effacement des seuils, où tous évoluent dans un long continuum, où l’on voit l’enfant de 10 ans avec le i-pod de celui de 15, la fille de 18 ans avec les mêmes Converse que sa mère de 40 et le père de 50 ans qui adopte les codes vestimentaires de son fils de 25 ans pour mieux communiquer avec son deuxième fils de 13 ans… issu d’un second mariage.
Devons-nous dire, dans ces conditions, que le Père a failli dans son rôle ? Probablement, bien que les responsabilités soient difficiles à établir. Mais le fait est qu’il ne joue plus le même rôle : il accompagne plus qu’il ne coupe, il défriche plus qu’il ne pousse, il protège plus qu’il n’éveille.
Si on considère que pour changer la société il faut commencer par se changer soi-même, que dire de l’avenir d’une société composée d’individus qui ne veulent surtout pas se changer, surtout pas franchir de paliers, surtout pas assumer leur âge ?
Si le Père ne joue pas son rôle de Père, c’est la porte ouverte au Paternalisme, une déviance de la figure Paternelle. Et c’est le travers dans lequel tombe lentement notre société : les responsabilités individuelles s’effacent progressivement au profit des responsabilités « du système », les Devoirs s’éclipsent derrière les Droits et l’Etat doit répondre de tout. L’hyperactivité de notre Président de la République vient d’ailleurs renforcer ce travers. Sous couvert d’un discours vaguement poujadiste, parfois gaullien, parfois ultralibéral, Sarkozy n’a de cesse de répondre dans l’urgence aux petits accrocs de l’actualité pour mieux évacuer les questions de fond. Un Pitbull s’attaque à un enfant, on légifère, un élève agresse un prof, on légifère, un malade mental dérape, on légifère, la Marseillaise est sifflée, on légifère. Cette politique de l’émotion immédiate débouche sur une forme nouvelle de paternalisme : « dormez tranquille, je m’occupe de tout, je suis partout, je suis responsable de tout ».
Ce paternalisme rampant, généré par des mutations sociologiques et renforcé par l’absence de courage de ceux qui nous gouvernent, finit par nous envahir et fait croire à tous que l’Etat peut tout et que le système est omnipotent. Le récent débat sur l’autonomie des Universités est très emblématique de cette ambigüité : ce qui semble apparaitre comme une volonté d’émancipation des Universités (ce qui est le rôle du Père) se traduit in fine par un renforcement du parti-pris du principal financeur, l’Etat, et par la substitution d’une vassalité endogène malsaine (le Président de l’Université tenu par les alliances syndicales et le poids des étudiants et immobilisé par la lourdeur de la gouvernance) par une vassalité hexogène paternaliste (le Président de l’Université autonome qui se retrouve Roi sans armée, seul face au Ministre bailleur de fonds).
Le citoyen, victime consentante de ce paternalisme larvé, demande ainsi des lois qui protègent, des garanties qui couvrent, des fonds de péréquation qui compensent, des mécanismes qui régulent. « L’enfer, c’est les autres » pourrait être sa devise.
Pas sûr qu’au final notre Société en sorte renforcée…