Après avoir englouti un peu trop rapidement notre plat de pâtes, Fabien s’essuya la bouche, recula sa chaise et sourit largement tandis que j’aspirais un peu laborieusement mes derniers spaghettis, les plus récalcitrants.Il nous servit un verre de ce petit rosé de Schiava pendant que le serveur débarrassait la table. Alors, il sortit un dossier de sa serviette, le compulsa rapidement jusqu’à retrouver ce qu’il cherchait, encore une photo du macchabée, et secoua la tête d’un air navré.
« Non, là, franchement, faut que tu m’expliques…C’est ce que je ne pige pas bien dans cette affaire, ces femmes avec ce mec…. Et toi… Toi et lui ? Y’a quelque chose qui m’échappe…
-D’abord, il faut que tu débarrasses de tous tes préjugés sur les femmes en quête du prince charmant, car effectivement ça ne collera jamais. Le seul véritable talent de ce type tenait sûrement dans son écoute, il savait très bien mettre en confiance et crois le ou non, c’est devenu une denrée rare. Mais, en ce qui me concerne, j’ai repéré très tôt son talon d’Achille et je m’en suis servie. Tout ça est trivial au possible, disons que nous partagions un intérêt commun, ça aide, en général…
-Comment ? Tu veux dire, que ce n’était qu’une histoire de cul ? Rien d’autre ?
-Je sais, c’est décevant….Ahhahhahaa ! La tête que tu fais ! Disons que cette thèse que je m’étais mise en tête de réussir ne m’intéressait plus du tout ; je voulais juste l’avoir, point barre alors quand j’ai remarqué qu’il louchait un peu trop grossièrementsur moi, je me suis dis pourquoi pas ?
-Mais ça ne se passe plus comme ça ! J’te crois pas, j’sais pas pourquoi mais j’te crois pas
-Oui, je sais, j’en suis pas fière mais comme finalement cette thèse improbable ne m’a jamais servi à rien, je n’ai aucune raison de m’en glorifier. Mais on perd du temps là, ce qui est important c’est un détail qui ne figure pas ton dossier. Il va falloir enquêter de ce côté
-Un détail ? Explique-toi
-Tu me dis que sa femme témoigne demain, c’est bien ça ? Monique Massier.
-Oui, c’est ça et alors ?
-Et alors ? Charles Massier a eu une première épouse, mon vieux ! »
Mon scoop avait produit son petit effet ; Fabien était livide et but une nouvelle gorgée de rosé en m’interrogeant du regard. Je l’imitai, histoire de me rengorger de ce premier succès et lui racontai ensuite le peu que je savais de cette mystérieuse femme, absente des dossiers mais dont j’avais l’intime conviction qu’elle représentait la clé de cet imbroglio. Ce autour de quoi Fabien tournait depuis le début.
Si ce prof avait flashé sur moi, ce n’était pas pour mes beaux yeux, enfin pas que… Il me l’avait confié un soir de blues. J’appris au passage que nulle part n’était fait mention de cet alcoolisme invétéré ; apparemmentaucune des aspérités de cette victime de fonctionnaire n’intéressait, on avait préféré se focaliser sur la meurtrière qui avait d’emblée reconnu les faits.Un soir, donc, il avait selon ses néfastes habitudes pleuré sur mon épaule.« Post coïtum, animal triste , ça te dit quelque chose ? C’était son grand malheur, il assumait avec le plus grand désarroi ses incartades, car il était éperdument amoureux de sa femme, ce qui m’arrangeait bien d’ailleurs…
-Attends, tu vas trop vite.
-Oui, excuse-moi ; je reprends. Il m’a raconté que j’étais le portrait craché de son premier amour.
-Ah ! Nous y voilà ! Cela ne veut pas dire qu’il a été marié une première fois. D’ailleurs, on ne se marie jamais avec son premier amour, c’est bien connu.
-Ça doit pouvoir se vérifier facilement, non ? ça m’étonnerait qu’il ait fait annuler son union par le Vatican. Ils se sont mariés civilement, en petit comité. Sa femme actuelle ne peut pas l’ignorer, tu le lui demanderas demain…
-Ça, j’vais pas m’en priver. Mais qu’est-ce qui nous dit que cet alcoolo n’ait pas voulu t’attendrir en te racontant un bobard, hein ?
-Rien, à part la photo qu’il conservait d’elle dans son portefeuille, mais ça ne signifie rien, en effet… »
Nous nous quittâmes une demi-heure plus tard, allant jusqu’à nous faire la bise sur le trottoir humide. Il me remit les photocopies de son dossier, que je promis d’étudier dans la nuit. Fabien semblait épuisé, le lendemain serait une autre journée chargée, il avait besoin d’une bonne nuit de sommeil. En attendant le métro, sur le quai déserté, je souris encore en me félicitant de n’avoir rien dit de cette ressemblance pourtant flagrante entre toutes les femmes de cette histoire.