Une lettre intéressante publiée par le journal le Parisien. Cette jeune prof remet quelques pendules à l'heure
! (à faire suivre...)
Lettre d'une prof en colère
Je suis un professeur d'histoire-géographie de 30 ans, enseignant dans un lycée d'Indre-et-Loire, non syndiqué et qui a fait grève pour la première fois de sa carrière cette année. Nous ne
travaillons - comme vous le savez si bien maintenant chers lecteurs - « que » 18 heures par semaine devant les élèves, et ce, depuis 1950. Or ce temps fut conçu en prévoyant qu'un
enseignant travaille 1,5 heure chez lui pour une heure devant les élèves afin de préparer ses cours, évaluer les élèves et actualiser ses connaissances dans sa discipline.
Cela fait 18 fois 2,5 soit 45 heures hebdomadaires. Je suppose, qu'intérieurement, vous vous dites: « vous avez les vacances pour compenser ».
Ces chères vacances qui font de nous des privilégiés ! Certes, il est vrai que nous avons 10 jours en février, 10 jours en avril, 10 jours à Noël, 5 jours aux vacances de la Toussaint (en
réalité 8 jours mais nous travaillons 3 jours de plus en juillet pour compenser), cela fait 35 jours de congés payés. Aujourd'hui avec les 4 semaines de congés payés et les RTT, beaucoup de
salariés ont autant de congés si ce n'est plus ! Or, nous, enseignants, pendant ces 35 jours de congés payés, souvent, nous corrigeons nos copies ou préparons nos cours. Vous répondrez:
« oui mais vous avez 2 mois en été ». Ces fameux deux mois d'été, il faut le savoir, ne nous sont pas payés : notre grille de salaire fut fixée en 1850 au même niveau que les autres
cadres de la fonction publique recrutés avec un concours au niveau BAC+3, mais à cette grille, il nous a été retiré 2 mois de salaire, puis le résultat fut divisé par 12 (afin de recevoir un
salaire chaque mois).
Pensiez-vous vraiment que l'on nous payait à rien faire durant deux mois ? Non ! En résumé nous travaillons 45 heures par semaine, payés environ 1660 euros par mois, avec 35 jours de
congés payés. Les événements de ces derniers jours, voire de ces derniers mois m'ulcèrent. Certains politiques détournent le débat sur le service minimum à l'école, pour s'attirer la sympathie des
parents d'élèves qui, eux, travaillent toute la journée. Pensez-vous vraiment, chers lecteurs, que le service minimum soit au centre de nos revendications ? Bien sûr que non ! Le seul
aléa, c'est que nos « vraies » revendications sont tues, étouffées avant qu'elles ne vous parviennent. D'où cette lettre, qui, je l'espère, arrivera jusqu'à tous les parents d'élèves.
52 heures par semaine et classes de 40 élèves
Premièrement, notre principale revendication c'est la lutte contre la suppression des postes, certes, la « quantité ne fait pas la qualité », mais dans mon établissement, nous avons perdu
2 postes de professeur d'histoire-géographie en 2 ans, alors que la perte d'effectifs ne s'élève qu'à 40 élèves. Pourquoi ces suppressions de postes générales à tous les disciplines et à tous les
établissements ? Il s'agit de répartir les heures entre les professeurs restants afin qu'ils fassent 21 heures ou 22 heures de présence devant les élèves, soit plus de 52 heures de travail
hebdomadaire ! Qui pourrait tolérer cela ?
Une autre solution serait d'augmenter les effectifs de chaque classe, les classes à 40 élèves deviendront monnaie courante. J'ai donc une proposition à faire à tous les enseignants qui liront ce
courrier. Etant donné que nous ne sommes pas rémunérés pour les mois de juillet et août, ne faisons rien, pas de préparation de cours ni de renouvellement de nos connaissances durant l'été.
Ensuite, pendant nos « petites vacances » qui sont nos congés payés communs à tous les salariés, reposons-nous: pas de copies ni de cours à préparer. Et surtout, à partir du mois de
septembre, travaillons réellement 35 heures par semaines.
Personnellement, je suis prête à fournir au ministre de l'éducation mon emploi du temps semaine par semaine indiquant mes 35 heures de travail réalisées, préparation des cours et corrections de
copies inclus. Mais je tiens à vous prévenir que si les enseignants travaillaient réellement « que » 35 heures par semaine, les cours ne seraient pas toujours prêts à temps, les copies
seraient rendues très longtemps après les devoirs (un paquet de lycée c'est 4 heures de correction, actuellement je corrige 20 h toutes les 2 à 3 semaines), les brevets blancs et bacs blancs
seraient moins nombreux, etc.
Vers le système anglo-saxon
Vous allez répondre que l'on contribuera dès lors à détériorer notre système éducatif déjà si mal en point ! Notre système n'est pas si mal en point que l'on veut vous faire croire. Les
professeurs de vos enfants sont parmi les mieux formés du monde, les concours du CAPES et de l'agrégation sont parmi les plus difficiles à réussir. Mais le ministre de l'éducation veut remplacer
ces professeurs compétents qu'il faut rémunérer à leur juste valeur (minimum BAC + 3) par des intérimaires, des vacataires sans diplômes et moins bien payés. Il veut copier le système anglo-saxon,
où un professeur enseigne plusieurs disciplines avec pour seules compétences son niveau BAC !
Après tout, à quoi cela sert-il qu'un prof de langue étudie 3 à 4 ans à l'université une langue étrangère, se rende dans ce pays pour se familiariser avec le mode de vie et dispense ensuite son
savoir aux élèves alors qu'en Angleterre avoir appris l'espagnol au lycée suffit à avoir les compétences pour l'enseigner. On vous parle sans cesse « d'échec scolaire », mais ce
« pseudo échec scolaire » n'est pas le fait des enseignants, au contraire ces derniers limitent « la casse ». Je m'explique: le gouvernement souhaite absolument que 80% d'une
classe d'âge obtiennent le BAC. Tans pis si un élève de 3ème rêve d'être plombier. Les recommandations données et « imposées » aux professeurs principaux de 3ème sont claires, il faut
faire passer en 2nde générale et technologique. Les places en BEP ou CAP sont d'ailleurs peu nombreuses et seuls les meilleurs élèves sont acceptés. Les autres vont en 2nde, quitte à échouer après.
Les enseignants rencontrent les parents, expliquent les différentes voies empruntables par les élèves qui ne souhaitent pas aller au lycée, mais le discours est tellement bien formaté et martelé
que chacun imagine la voie professionnelle comme un échec. D'autre part, les établissements ont des « quotas » de redoublants à ne pas dépasser. Tans pis si un élève aurait pu consolider
des acquis fragiles en redoublant (car redoubler c'est une 2nde chance, ce n'est pas une sanction).
« Nous passons pour des bouffons »
A cela s'ajoute le manque de sanction. Combien de parents n'ont-ils pas entendu leurs enfants raconter qu'ils n'ont pas pu avancer dans tel ou tel cours car certains élèves faisaient « le
bordel » ? Or, un enseignant peut difficilement exclure un élève de cours sous peine d'être déconsidéré par sa hiérarchie, des exercices supplémentaires peuvent être donnés mais s'ils ne
sont pas réalisés, que faire ? Coller ? Oui, c'est une solution mais dans de nombreux établissements il n'y a pas assez de personnels ou d'heures rémunérées pour surveiller les colles du
mercredi.
Exclure ? Pourquoi pas ? Mais les chefs d'établissements y sont souvent réfractaires car l'exclusion définitive les met en situation d'échec vis-à-vis du rectorat. Nous faisons grève pour
nous faire entendre mais nous apparaissons comme des « bouffons » dont on se joue. Nous ne bloquons aucune production, nous ne prenons pas de voyageurs en otage, nous ne bloquons pas les
routes et, de ce fait, le gouvernement a raison de rigoler et d'attendre que l'on ait fini nos « petites manifs ». Maintenant il y a toujours la solution de « bloquer » la
production, notre production étant pour nous l'éducation et le savoir. Rien n'est plus facile que de faire grève durant les épreuves du BAC et brevet, ou pire encore, travailler 35 heures par
semaine, car à partir de ce moment il n'est pas dit que vos enfants aient acquis toutes les compétences nécessaires à la réussite de leurs examens, étant donner que pour faire que 35 h nous devront
donner des QCM à la place des compositions, que nous ne pourrons plus préparer d'examens blancs, car trop longs à corriger. Si tel était le cas nous serions très loin d'atteindre 80 % de réussite
au BAC ! Peut être que le gouvernement attend de constater qu'avec ses réformes imposées et contre-productives, la cuvée 2009 du BAC ne représentera que 50 % des candidats.
Chers lecteurs, j'espère que ce courrier vous permettra de vous forger votre propre opinion, tout en vous détachant du bourrage de crâne gouvernemental et médiatique qui ne tend qu'à masquer la
réalité des problèmes et revendications. Rien ne vous empêche d'aller interroger directement les professeurs de vos enfants, ils sauront vous renseigner sur la réalité du système éducatif français.
Je terminerai en précisant que jamais en classe nous ne critiquons tel ou tel corps de métier, alors je ne comprends pas pourquoi certains élèves arrivent en classe avec un discours méprisant
envers les enseignants, discours véhiculé par les parents alors que ces derniers ne savent rien de la réalité de nos conditions de travail.
Elisabeth, Tours