Chez Grand Mère

Publié le 19 juin 2009 par Didier T.
Ha cette grand-mère ! C’est elle qui m’avait élevé jusqu’à mes quatre ans révolus.
Pour survivre, elle élevait en batterie les enfants de riches maraîchers nantais jusqu’à l’arrivée de ce nouveau pensionnaire qui eut la mauvaise idée de faire mine d’y mourir d’une embolie pulmonaire.
Aux cotés du docteur appelé d’urgence, on prit soin d’associer aussi le curé qui, face aux 41° de température, distribua bénédictions, huile sainte et en désespoir de cause, les Saint Sacrements.
C’est alors que Marie Madeleine, c’était le nom de la grand-mère, promit au Bon Dieu
que si ce petit bout d’homme en réchappait, elle renverrait tous ces fils de maraîchers
et se consacrerait totalement à lui.
Par miracle, la fièvre s’estompa, le gamin survécut et Marie-Madeleine pria son petit
monde de libérer la place afin de se consacrer à ce rescapé des ténèbres. Je venais de
gagner une vraie grand-mère, pour moi tout seul !
Veuve de guerre, juste mariée avant le départ de son mari pour Verdun, elle s’était
laissé vieillir, isolée à la campagne, toujours vêtue de noir, élevant la fille qu’il lui
avait laissé à l’occasion de trop brèves étreintes. Toute sa vie, elle avais pris en
pension les enfants des autres.
A presque soixante-dix ans, alors qu’avec l’âge elle rapetissait, le chignon tressé serré
de ses cheveux gris était connu de tout le village. Son menton en galoche, agrémenté
d’une verrue qu’aucun des guérisseurs consultés n’avaient su faire disparaître, le jaune
de sa peau fripée et marquée de profondes rides, ne parvenaient pas à dissimuler un
regard parfois ironique et malin mais toujours nimbé d’une profonde bonté.
Une fois de plus confié aux bons soins de cette grand-mère d’occasion, moi qui n’avait connu ma vraie grand-mère maternelle qu’à cinq ans lors d’une rencontre en cachette du grand-père, (militaire de son état,on ne jouait ni avec l’honneur familial, ni avec le «qu’en dira-t-on» à cette époque !), je constatais rapidement que je ne serai pas le seul éclopé de la vie à bénéficier de ce refuge villageois.
Chaque soir , le dîner était partagé avec Lucien, célibataire dans la force de l’âge qui avait échoué là, à Carquefou, au gré des mutations de l’administration des Postes et Téléphone.
Il distribuait le courrier dans le village et alentour, juché sur un vélo avec sacoches qu’il avait du mal à ramener en fin de tournée, tant les heureux bénéficiaires de nouvelles fraîches avaient la fâcheuse habitude de le remercier en lui servant moult verres de ce vin de pays qui gratte la gorge et embrouille les esprits…
Que de fois, la tournée de distribution se termina dans un des fossés parmi les herbes
et les pissenlits !
C’est donc un Lucien « imbranlable » ( Grand -Mère dixit…. elle voulait dire «irrécupérable») qui titubant, prenait place sur un des bancs qui entouraient la grosse table en chêne où il faisait bon s‘attarder dans la chaleur de la cuisinière à charbon ou en hiver, celle de la cheminée.
Un soir, que je le harcelais sur les amours improbables qu’il aurait pu connaître, n’y tenant plus, Lucien extirpa de son portefeuille la grande photo en noir et blanc d’une superbe femme qui posait nue, assise, les longs cheveux bruns défaits, sur un lit aux draps froissés, prétendant qu‘il s‘agissait là de la femme de sa vie.
Ce n’était pas le découpage d’une photo de magazine, non, c’était une photo pour de vrai qui anima longtemps ma libido.
Ainsi, même une épave échouée dans les vapeurs de vinasse pouvait garder sur son coeur la plus belle des fleurs. Bien des années plus tard, je suis encore capable de dessiner les contours de cette improbable hétaïre.
Dès que le feuilleton de «la famille Duraton» laissait la place aux informations sur Radio-Luxembourg, j’éteignais le vieux poste à galène qui trônait sur la commode et conduisais grand-mère sur le chemin de ses souvenirs de jeunesse.
Je ne me lassais pas de l’entendre raconter comment, jeune fille de ferme, nourrie- logée au château de Maubreuil, elle avait signé un contrat de travail lui garantissant de ne jamais manger plus de trois fois la semaine de ce saumon qui pullulait alors dans la Loire toute proche.
Mais l’histoire que je préférais était celle du Comte qui ordonna un soir de répartir sur
deux lignes parallèles des bottes de foin dans une grande prairie qui jouxtait le
château.
Une fois alignées, tout le personnel réuni y mit le feu dès qu’on entendit, venant de nulle part, le bruit d’un moteur.
C’était là un jeune baron anglais qui, aux commandes d’un aéronef, rendait visite au Comte. Elle n’en crut pas ses yeux, pensez donc, un aéroplane ! C’était le premier qu’elle voyait et qu’après s’être signée, elle toucha de ses mains !
Bonté divine, ce Comte était décidément bizarre, non seulement il était accompagné d’un grand noir qui ne le quittait jamais quand il conduisait sa voiture mécanique, mais en plus il avait, sur les véhicules qu’il fabriquait, accolé le nom de ce Bouton au sien. De Dion -Bouton, vous parlez d’une signature !
Ainsi l’été passa, au rythme lent d’après-midi torrides passés sous le pommier du jardin où, sur les couvertures étendues, venaient papoter les commères du quartier pendant que grand-mère leur servait de grandes rasades d’une piquette fraîche, allongée de l’eau du puits et conservée à température dans une serpillière trempée.
A l'ombre,somnolant à moitié, je tendais l’oreille quand les pipelettes, baissant la voix,évoquaient les malheurs conjugaux de certaines de leurs connaissances, m’amusant de la façon dont-elles y faisaient référence en ajoutant toujours un «La» devant le nom de la pauvrette: ....La Dufour.. La Marie -Germaine…. Si elles avaient su…
Si elles avaient su que le sommeil qui me gagnait ces après-midi n’était dû qu’à des escapades matinales dans le lit d’une jolie brunette qui m’accueillait, une fois les parents partis au travail…
Elles en auraient fait des commentaires et sûrement embelli la réalité à en croire la verdeur qui fleurissait leurs propos.
Car ces rendez-vous, si ce n’est quelques tendres caresses et baisers humides, se déroulaient «en tout bien, tout honneur» !!
Une fois, prenant mon courage à deux mains, j’avais glissé le doigt, le majeur, dans la culotte mais, l’en avais vite retiré tout mouillé et aussi surpris que dégoûté, l’avais essuyé avec précaution sur le drap, sans ajouter de commentaire.
Au lieu de me perdre dans un "univers" inconnu que je maîtrisais mal, je décidais de m’en tenir aux caresses extérieures, nourrissant ainsi et pour longtemps une fixation récurrente sur les seins féminins.
Les femmes devaient me faire peur car même quand elle me suggéra de la rejoindre sous la douche, je fis mine de ne pas comprendre l’allusion et l’attendis au salon.
Tout a une fin et il fallut abandonner cette renardière enchantée, quitter grand-mère
pour rejoindre le nouveau lycée qui voudrait bien de moi.Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu