Magazine Humeur
Socialiste par amour et inadvertance
Publié le 19 juin 2009 par Didier T.Sépulcral, fut le silence dans la voiture qui nous conduisait vers le lycée de Châteaubriant à cinquante kilomètres de Nantes.
Pas un commentaire quand il fut entendu que les élèves ne pouvaient sortir que toutes
les quinzaines s’ils n’avaient pas récolté en chemin une « colle ».
Seul lycée de la région, il accueillait principalement des élèves venus de la campagne
toute proche. Les bâtiments qu’il occupait étaient disséminés dans la petite ville, en
plein centre le lycée principal trop petit, quelques rues plus loin une annexe
provisoire, tout proche le réfectoire et de l’autre côté de la ville, dans un bâtiment
industriel désaffecté, sur deux étages, le dortoir des filles et celui des garçons.
Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, c’est un long ruban d’élèves, en rang par
deux, sous le regard fébrile de surveillants acnéïques, qui sillonnait soir et matin la
ville claquemurée derrière ses volets clos.
Le matin, c’était le ventre vide que la cohorte rejoignait le réfectoire où l’attendait un
café bouillant accompagné de tranches de pain pour lesquelles il n’y avait jamais assez
de confiture.
De l’avis de tous, l‘économe devait s’en mettre plein les poches en rabiotant sur la quantité disponible.
L’immense dortoir des garçons abritait quelques cent soixante litières à deux étages et
l’intimité collective des occupants était garantie par des murs d’armoires individuelles
où chacun essayait de cacher ses trésors personnels.
Quand le gros Dumortier rentrait le dimanche soir de chez ses parents charcutiers, il
faisait baver son voisinage en déballant ses saucissons, ses pâtés, ses gaufres et autres biscuits secs et jamais personne ne sut ce que contenait la gourde qu’il enfermait à double tours dans une armoire dont les relents, à chaque ouverture, flattaient les narines.
Pour lui, la sanction d’une retenue ne serait pas la perte d’un week-end de liberté, mais plus sûrement la crainte d’une rupture d’approvisionnement.
Focaliser sur ce pauvre Dumortier n’a rien d’un hasard. En effet, la qualité des repas qui étaient servis aux pensionnaires induisait un intérêt grandissant pour sa case aux trésors.
Il n’était pas rare de découvrir dans les haricots blancs de petits vers bien cuits. Même
le jeudi, jour des frites, la viande ou les saucisses qui les accompagnaient se révélaient
immangeables.
N’y tenant plus, les élèves organisèrent un soir au réfectoire un chahut monstre et
refusèrent de consommer leur pitance, réclamant la présence de l’économe de
l’établissement. Ce dernier arriva accompagné du Directeur dénommé, pour on ne sait
quelle raison, "le Boeuf ".
Rouge de colère, le Boeuf exigea de connaître la raison exacte de cette révolte.
Pris directement à partie par le Directeur, un des élèves de Première se dévoua pour
lui en expliquer les raisons, sous les bravos de l’assemblée.
Il s’appelait Maxence, avait toujours fait montre d’une certaine prestance, sa bonne humeur et son sourire permanent lui valait la sympathie de tous. Il exposa calmement la liste des griefs.
Le lendemain matin, les parents de Maxence, convoqués d’urgence, n’avaient plus
qu’à ramener leur fils à la maison, celui-ci ayant été exclus définitivement, séance
tenante.
La nouvelle se répercuta de tables en tables à l’heure du déjeuner et l’émotion collective grandit.
De retour dans la cour du lycée, sur le tableau noir, où d’habitude étaient consignées les informations administratives, une note manuscrite émanant de la direction informait que "suite au mouvement inacceptable des pensionnaires et à la mise en cause injustifiée des personnels de cuisine", Maxence X, après délibération du Conseil de Discipline convoqué ce matin, était définitivement exclu de l’établissement ".
Abasourdi par la disproportion de cette sanction qui ne frappait qu’un porte parole, je
pris un bout de craie verte qui se trouvait là et rédigeais en lettres majuscules
" RENDEZ NOUS MAXENCE ".
Le soir même, sur les coups de cinq heures, avant de rejoindre les études, le Bœuf convoqua les élèves pensionnaires, les fit s’aligner sur plusieurs rangs….et leur expliqua que faute d’une désignation de l’auteur de ce libelle, la totalité des élèves serait retenue le week-end prochain, toute autorisation d’absence étant suspendue.
Un étrange silence s’abattit sur la cour d’honneur, chacun se souvenant des colères de
ce Bœuf, capable de refuser une sortie de quinzaine à un élève, au motif qu’il était mal
rasé ou mal « fagoté »….
Le temps prenait son temps, et rester là, se tenir droit, sans bouger un cil, faire en sorte
que son regard ne croise pas celui du Bœuf, sentir peser sur soi le regard de ceux qui
avaient des projets pour le futur week-end et me le feraient payer s‘ils devaient eux
aussi en être victimes, tout cela me devint subitement insupportable.
Retenant mon souffle, j’avançais d’un pas, puis, avec des cailloux dans la bouche,
rappelais que «Maxence n’était, la veille, que le porte-parole de la totalité des élèves
et que son expulsion à un mois du baccalauréat était injustifiée».
«Bien, vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que ce vendredi vous ne sortirez pas
avec vos camarades, ni de savoir que vous serez convoqué dans mon bureau samedi
vers midi» tonna le Bœuf.
Devant le soulagement pleutre qui baignait le visage de mes coreligionnaires qui, ce
midi encore, criaient plus fort que moi , j’eus soudain l’intuition qu’en groupe tout
devenait possible, même les pires horreurs, mais qu’au moment de la prise de
responsabilité, il n’y avait plus grand monde.
En attendant l’entrevue fatidique avec ma mère, je me disais que décidément, pas de
chance, car s’en serait fini de sa romance avec Marianne.
C’était, comme on dit, une belle plante, blonde platine à la bouche pulpeuse, un peu
forte en tout, qui «faisait latin- grec et allemand», le cycle des forts en thèmes. Elle
promettait une poitrine aussi intéressante que ses capacités intellectuelles…
Fille d’un haut responsable socialiste élu à Nantes qui veillait sur elle comme on
surveille l’eau sur le feu, républicaine en diable, elle me fascinait.
Aucun moyen de la voir à Nantes, en dehors du Lycée.
Pleine de ressources, elle me souffla la solution qui permettrait de nous rencontrer : assister à une des réunions de jeunes à laquelle elle participait souvent le samedi après-midi, avec l‘agrément de ses parents.
Cette perspective de rencontre m’avait conduit à modérer mes emportements et faire
en sorte de ne pas être trop souvent collé le week-end….jusqu’au jour fatidique.
Je fus surpris d’être accueilli avec autant de prévenances et que chaque membre de
l’assemblée ait posé tant de questions sur mes origines, ma famille, mon mode de vie.
Avait-il lu Marx ? Que savait-il du Congrès de Tours ? Connaissait-il des « cosaques »
ou des « cocos » ? Que savait-il de Tixier-Vignancourt ?De de Gaulle ? Avait-il suivi
la campagne de Mitterrand contre de Gaulle et Lecanuet ?
Bombardé de questions, je bredouillais quelques aphorismes tendant à démontrer que
j’avais toujours été du côté des «travailleurs» (alors qu’en réalité j’avais toujours été
un glandeur de première) et fis tous les efforts pour être accepté dans ce groupe qui
suintait la sympathie et dont un des responsables parmi les plus âgés me plaisait bien.
Bref, il me faut bien l'avouer, c’est par amour que je devins socialiste…. m’y incrustant par inadvertance, alors même que mes velléités amoureuses très platoniques s’évanouissaient.
Ce court épisode devait avoir une énorme répercussion sur ma vie future.
Une fois de plus donc, ma mère vint me récupérer. Elle eut beau plaider les bons
résultats scolaires de son rejeton, rien n’y fit, le Bœuf étant de ceux qui classaient
inexorablement tout contradicteur potentiel parmi les nuisibles à éliminer.
Une fois dans la voiture, après avoir expliqué la façon dont s’étaient déroulés les
évènements, je fus très surpris par la réaction de ma mère qui partagea cette fois mon
courroux. Sans doute pensait-elle, qu’avoir pris la défense d’un camarade, prouvait
que ce gamin n’était pas aussi asocial qu’on avait bien voulu lui démontrer…. Sur la
route du retour, elle me déposa à Carquefou chez mon ancienne nourrice que j’appelais «grand mère» par amour et par commoditéPublié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu