Je l'entendais toujours rire du fond du magasin, avec son rire franc, fort et drôle. Un rire communicatif échangé avec grand plaisir quand il passait à ma caisse. Mon petit vieux qui venait le mercredi et le samedi et passait à ma caisse, et avec qui je parlais de la pluie et du beau temps, avec qui je plaisantais et qui m'invitait toujours au bal en hurlant de rire. Il parlait fort, c'est parce qu'il était un peu sourd. Mais on lui pardonnait ce défaut en voyant son grand sourire sincère, en entendant ses éclats de joie spontanés.
Je ne l'ai pas vu mercredi. J'ai compris aujourd'hui pourquoi quand son aide ménagère est passée à ma caisse. "Je n'ai pas vu mon jeune homme mercredi !". Elle me regarde l'air triste et me dit "Je l'ai trouvé, sur sa chaise, assis, en allant le chercher mercredi pour faire les courses, il était mort".
Un choc. Une tristesse. Une nouvelle bien tragique ! Car ce petit vieux là, mettait du bonheur partout où il passait. Une chose est sûre, je n'oublirai pas l'immense jovialité qu'il dégageait. Je ne connais ni son prénom, ni son nom, ni rien de sa vie. Je sais juste qu'il était toujours agréable de l'avoir à ma caisse. Je n'ai même jamais eu le temps de le remercier pour toute la joie qu'il m'apportait.
Il va me manquer, mon petit vieux joyeux. "Mon jeune homme", comme j'aimais à l'appeler, pour le faire un peu plus rire.
C'est dans ces moments là que je me rends compte que mon métier ne se limite pas qu'à charger des bouteilles et encaisser des gens toute la journée. Quand les affinités se créent, ce n'est plus un simple travail, c'est une véritable histoire pleine de coeur.