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Ci-gît un homme dont le nom fut écrit dans l’eau

Publié le 22 juin 2009 par Cameron

Cette épitaphe, de Yeats, je crois, me hante depuis longtemps, non pas seulement qu’elle exprime l’inanité de toute vie, à fortiori de toute gloire littéraire ou autre, mais plutôt parce qu’écrire dans l’eau est un rêve. Un rêve de fou, qui verrait se confondre l’acte physique de former les mots avec la totale fluidité du support, et ne resterait qu’une flaque liquide de l’effort produit.

Une mort d’homme ne mérite pas davantage, puisque par définition elle n’est rien. Mais on a écrit le nom de cet homme, on a écrit qu’il avait été écrit dans l’eau, disparu aussitôt, bien sûr, et on s’en souvient. Pas du nom. Pas de l’existence même de cet homme. Sûrement pas de ce qu’il aurait accompli de son vivant non plus, ils sont bien rares, les actes dignes de nous survivre. On se souvient juste que quelqu’un a écrit quelque chose.

Je ne connais pas de plus belle justification à la littérature que celle-là, qui est mensonge, qui est promesse d’oubli du fait et pourtant mémoire en marche de sa propre réalisation concrète. J’écris. J’oublie ce que j’ai écrit, j’oublie même qu’un jour un « je » a écrit, mais peu importe, car il y a tant de je possibles et tant d’écrits interchangeables. Et tant de sens à donner aussi. Nous reste la réalité de l’écriture. Elle, tangible, elle, solide même dans l’eau, elle qui est notre vraie mémoire. Elle qui devrait être le seul lieu du repos.


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