Le Coup de chaud / XXI

Publié le 25 juin 2009 par Lejournaldeneon


(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
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Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
CHAPITRE 10 / (SUITE)
UNE HISTOIRE D’ABSTRACTION...
(Selon le principe de la récupération, le procédé de l’appropriation / Disons l’histoire d’un vol... et l’idée d’une restitution sous la forme qu’il convient le mieux dans le contexte d’une histoire d’amour qui dérape).


Pour finir, l’obscur traficotage de sentiments amoureux aurait pu également atteindre une sorte de récepteur subsidiaire, un intermédiaire sur un parcours postal balisé. Lequel agent basé suffisamment loin du front pour ne pas élever les soupçons —Disons, planqué dans un bouge de Florence par exemple !...— aurait disposé d’une clé indispensable au déverrouillage de l’information camouflée dans une lettre d’amour comme il en existait cent. Une manœuvre relativement simple... Le lieutenant de police tenta de conclure sur cette alternative tout à fait vraisemblable selon lui ; « à moins » rajouta t’il, que ce ne fut le jeune Conte lui-même, le profil type de l’agent double... Un petit-bourgeois corrompu, un de ces maoïstes. Antoine Conte de Beauregard, un nom tout indiqué pour noyer le poisson dans la vase du Mékong... Le jeune Conte et sa couverture de reporter pour passer inaperçu sur chaque rive. « Oui, à moins que ce ne fut ce petit con lui-même... »
Marie pleurait pendant qu’elle se rhabillait. Rajusta son petit soutien gorge en lycra sur son buste émacié et remonta son Dim qui lui servait aussi de culotte roulée sur les chevilles. Une virgule noire épaisse emportait un œil après l’autre sur son visage englouti. L’intérieur de son ventre lui faisait mal, des coups, comme des poinçons... un outil de fourreur comme une alêne qui lui transperçait l’abdomen, mais Marie prit sur elle de ne rien dire au flic en train de se raboutonner derrière le classeur métallique gris-vert sur lequel la photo de sa femme souriait à la frimousse d’un mioche au cou déformé par une grimace aux allures de sphincter. « Elle s’appelle Purification. C’est d’origine espagnol. (Pou-ri-fi-ca-cione)... » Le gros con de flicard avait dit : « Pou-ri-fi-ca-cione » comme le Matador apprenait à donner l’estocade finale dans l’arène après quelques passes de capote lors d’un combat à mort avec le paquet de viande énervée qui lui servait de bouc émissaire les jours de foire.
Pour conforter sa démonstration, ou peut-être aussi réussir à détourner l’attention... l’enquêteur en chef de la brigade de la rue Michelet, fit encore remarquer à Marie l’origine du cachet de la poste... « italienne » ! apposé sur l’enveloppe jaune en provenance de Florence. La preuve, de ce que cette rédaction amoureuse au caractère ambigu avait dû en voir de toutes les couleurs avant d’arriver, depuis le théâtre des opérations vietnamien, via l’Italie... jusqu’au cœur serré d’une jeune bonnetière complètement déboussolée par la perspective d’une vérité bien plus cruelle encore. Oui, car rien en réalité n’interdisait plus à Marie d’imaginer son amour perdu dans la pire situation qu’il soit pour un reporter. Un journaliste à part entière, dont elle pourrait évaluer bientôt, la terrible efficacité de ses photographies... l’impact de ses cadrages et l’honnêteté de son travail reproduits en couverture de la presse du monde entier. Marie en était convaincue : Antoine n’était pas un lâche. Elle connaissait son homme ; la ténacité de son caractère imprimé sur son corps, un dessin bien fait, des formes géométriques bien visibles sur son flanc. Tout ce qu’elle se rappela de ses yeux adroits et de son dos fiché ; son sourire, sa mélancolie allemande quand il lui parlait. Sa force, qu’elle pouvait encore sentir au fond d’elle dans l’abstraction de ses nuits compliquées ; l’intensité de ses blessures d’enfance à jamais rivées dans ses veines, un chant d’anges et ses arborescences électriques disséminés dans sa chair. Son corps, immense. Non, Antoine n’aurait jamais failli. Son grand amour, son amour vrai, cette évidence crue. Au fond, c’était même pour cette unique raison que son amour de beau gosse avait oublié de lui écrire pendant des semaines... Il n’avait pas oublié, non ! mais seulement voulu éviter d’avoir à la compromettre avec lui. Un seigneur. Et Marie en était maintenant persuadée : Pour beaucoup, son noble écuyer vaudrait certainement mieux la bouche emplie de terre à respirer la crasse de ses mauvaises opinions, qu’à lancer son paradigme humaniste aux trousses d’une comédie résignée d’un genre humain sans scrupule. Marie eue soudain très peur et repensa à ce photographe célèbre. Robert Capa(X), mort à peu près au même endroit au mois de mai 54. Le type avait sauté sur une mine pendant un reportage sur la route de Thai-Binh. Fin du voyage. C’est Antoine qui lui avait raconté l’histoire du plus grand photographe de guerre que le monde ait jamais connu. Robert Capa, joueur de cartes et coureur de jupons ; alias André Friedmannn, né en 1911 à Budapest, Hongrie.
-X- Robert Capa, de son vrai nom Endre Ernő Friedmann, Naissance le 22 octobre 1913 à Budapest. Exilé à Berlin en 1931 à cause d’une montée de l’antisémitisme en Hongrie. Etudes de sciences politiques à la Deutsche Hochschule für Poltik. Photographie Trotski à Copenhague l’année suivante avant d’être chassé de l’Allemagne au bord de basculer dans la pire période de son histoire. Rejoint Paris, le quartier Montparnasse... Se lie d’une amitié indestructible avec le photographe David Seymour, alias « Chim » pour les gens du métier. Rencontre avec Gerda Taro, étudiante allemande antifasciste, elle aussi reporter de guerre, et qui restera le grand amour de sa vie malgré la mort de la jeune femme en 1937, ; écrasée par un tank des brigades internationales. Publication régulière dans « Life magazine ». Réalise le chef d’œuvre absolu de l’histoire du photojournalisme en figeant la mort d’un soldat républicain près de Cerro Muriano, au mois de septembre, l’année 1936. Renouvelle son coup de maître le 6 juin 1944 en débarquant sur une plage d’Omaha-Beach avec son Leica autour du cou. Termine d’inscrire son nom dans la légende, grâce à son ami Henri Cartier Bresson en fondant avec lui la célèbre agence coopérative « Magnum » à New-York ; poursuit son tour du monde des théâtres d’opérations. Pologne, Sicile, Chine, Japon... Travaille en Israël entre 1948 et 1950. Meurt juste après sa naturalisation comme citoyen américain, en sautant sur une mine sur le sol Indochinois au mois de mai 1954. Medal of freedom américaine et Croix de guerre française à titre posthume.

Le ciel était calme, il faisait à peine nuit. Marie comptait les rangées d’éclairages vissés sur les murs crépis de la rue de la Cité jusqu’aux traces de bleus fiévreux sur les vitres du Kane. Elle disait « Kane » depuis quelques temps. « Kane » pour afficher son mépris d’un « Citizen » arbitraire. Une contraction machiste d’un titre en entier qu’il convenait encore de séparer en deux parties distinctives, sur la base d’une sorte d’immense malentendu entre deux types d’espèce humaine opposées : Les garçons au-dessus et les filles dessous... c’était comme ça depuis le début, même si les filles aimaient aussi conduire, manœuvrer les gouvernails et accélérer sous des trombes d’eau. Le Kane... Alors que le troquet avait aussi changé de nom sans qu’elle ne s’aperçoive de rien.
Où était-il à cette heure ? Parcourait-il encore le Vietnam avec son Leica depuis la date à laquelle ce télégramme providentiel était parti de Saigon ? Pouvait-elle espérer le revoir bientôt comme il semblait le lui avoir promis alors quelle n’en n’avait jamais rien su ? Est-ce que cet abruti de flic... Comment déjà ? Pou-tré-facione...) c’est ça ! pouvait avoir raison à propos des services de renseignements des postes ? Cette lettre... de Saigon, postée à Florence ?... Qu’aurait-elle encore à espérer de son béguin, son grand amour qui puait la mort à plein nez ? Marie aurait voulu lui répondre sur le champ... lui écrire des jolis mots pour le rassurer ; lui dire que son ventre, ce salaud de flic, cet imbécile de Tony... toute cette fièvre, la couleur bleu, les costumes de marins, les bleus de chauffe, le cobalt et le Majorelle, les panoplies d’officiers... Tout ce qui la rassurait un peu depuis qu’elle se sentait loin de lui. Mais il était convenu entre eux depuis le départ qu’elle ne disposerait d’aucune adresse, aucune destination à laquelle lui retourner ses envies d’elle et ses baisers pressants ; tout son cinéma d’un paysage de carte postale périmée au milieu des tueries effroyables, la boucherie insupportable qu’on devinait dans la presse d’opinion... Pas même une poste restante, aucun repère fixe pour ne rien altérer des mouvements de l’air et des bouffées d’angoisse naturelles. Tout oscillerait, tout hésiterait... comme le courant flotte sur les lignes de fronts. Comme tout vacille aux entournures de la raison. Le moindre équilibre. Les sifflements de pierre dans le froissement du vent pâle. Marie s’était encore dit qu’Antoine avait sûrement voulu la faire rire avec ses histoires de voyages touristiques en robe rose, mais qu’elle était loin d’être dupe ! Que pour les tigres, les araignées et les serpents, passe encore ! mais pour la promenade en robe rose sur un trottoir de Manille, son client pourrait repasser !...
Antoine n’était toujours pas revenu, mais le courrier lui, avait continué. Moscou, Leningrad, Bucarest, Tallin, Erevan, Tel-Aviv, Irkoutsk, New-York, Leesbury, toutes postées de... Florence.